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Burundi : Les disparitions forcées continuent en 2019. (1ère partie)

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DECLARATION DU FOCODE n° 001 /2019 

BURUNDI : LES DISPARITIONS FORCEES CONTINUENT EN 2019 !                       

Dans le cadre de sa « Campagne NDONDEZA contre les disparitions forcées au Burundi », le FOCODE a recueilli des informations et des témoignages sur une quinzaine de cas de disparitions forcées survenues entre mars et août 2019. Cette première déclaration concerne sept cas dont les auteurs de l’arrestation des victimes sont connus et facilement identifiables, ce qui est de plus en plus compliqué depuis l’année 2018. Une deuxième déclaration suivra et se penchera sur huit autres cas qui obéissent au modus operandi des disparitions forcées au Burundi mais dont les auteurs sont difficilement identifiables. Le FOCODE profite de l’occasion de la journée internationale des victimes de disparitions forcées, le 30 août, pour publier une série de cas de disparitions forcées qu’il a documentées au cours des huit derniers mois. Outre la quinzaine de cas survenus en 2019, plusieurs autres cas survenus entre 2015 et 2018 seront également publiés sur une période de 10 jours consacrés à la dénonciation de la pratique des disparitions forcées comme outil de la répression politique au Burundi.

Les sept cas que nous publions aujourd’hui confirment la tendance observée depuis le troisième trimestre de 2018 : quoique les autres groupes d’opposition ne soient pas épargnés, les militants du nouveau parti Congrès National pour la Liberté (CNL), version actualisée des ex-FNL dirigées par Agathon RWASA, sont dorénavant majoritairement ciblés par les auteurs des disparitions forcées. Les militants du MSD, des militaires et civils soupçonnés de collaboration avec des groupes armés ainsi que des miliciens Imbonerakure soupçonnés de trahison restent également dans la ligne de mire des auteurs comme nous le verrons dans d’autres publications. Les corps impliqués n’ont pas changé, c’est toujours le service national de renseignement (SNR), la police nationale du Burundi (PNB), la milice Imbonerakure et la Force de Défense Nationale du Burundi (FDNB). Comme d’habitude, les autorités burundaises sont restées silencieuses et inactives sur tous ces cas de disparitions forcées. Les familles ont tenté des recherches des leurs mais leurs initiatives sont restées vaines. Dans leur quasi-totalité, les familles des victimes vivent dans la peur et ont abandonné la recherche au bout de quelques jours. Chacun de ces sept cas rappelle un modus operandi déjà connu dans les publications précédentes, la souffrance des familles et l’instrumentalisation de la disparition forcée pour terroriser tout un peuple.

Les sept cas évoquent la disparition forcée de :

  • Olivier NDAYISHIMIYE, militant du parti CNL, introuvable depuis son enlèvement par des agents du SNR le 18 mars 2019 à Gitega,
  •  Dieudonné NDUWAYEZU, militant du parti CNL, introuvable depuis son enlèvement par des agents du SNR le 18 mars 2019 à Gitega,
  • Térence MANIRAMBONA, militant du CNL, introuvable depuis son enlèvement par des agents du SNR le 18 mars 2019 à Gitega,
  • Vital Nyandwi, militant du parti CNL, introuvable depuis son arrestation à Gisuru par le Commissaire provincial de la police de Ruyigi le 15 mars 2019,
  • Silvère BARIBONEKEZA, responsable du parti CNL dans la zone Bukoro (commune Nyarusange), introuvable depuis son enlèvement par des miliciens Imbonerakure le 20 mars 2019,
  • Isaïe BATUMUNWA, mobilisateur politique du parti CNL, introuvable depuis son enlèvement par des éléments de l’armée burundaise le 22  juillet 2019 à Nyeshenza (commune Mugina),
  • Jean-Marie NDIHOKUBWAYO, ancien milicien Imbonerakure et ancien informateur du SNR, enlevé par des miliciens Imbonerakure le 05 mai 2019 à Kagwema (commune Gihanga).

Le FOCODE rappelle aux autorités burundaises qu’elles ont le devoir de faire la lumière sur la disparition des personnes qu’elles ont arrêtées et celui d’enquêter sur tout cas de disparition forcée.

Le FOCODE recommande encore une fois la mobilisation des partenaires du Burundi en appuyant sérieusement la documentation de ces cas et en condamnant vigoureusement chaque fois ces crimes. La condamnation de ces crimes graves par la Cour pénale internationale (CPI) est largement attendue par les burundais et pourra freiner l’escalade vers plus d’atrocités à la veille du processus électoral de 2020.

A. Disparition forcée de trois militants du parti CNL à Gitega : Olivier NDAYISHIMIYE, Dieudonné NDUWAYEZU et Térence MANIRAKIZA

A.1. Identification des victimes

  1. Olivier NDAYISHIMIYE est né en 1989, sur la colline Kibiri, zone Mungwa de la commune Gitega en province de Gitega. Célibataire, il est le fils de Tite BARANDAGIYE et de madame Rose. Il a obtenu son diplôme de baccalauréat à la faculté des sciences économiques et administratives de l’Université du Burundi. Jusqu’à sa disparition forcée, il était employé comme gérant du secrétariat public New Informatic’s Technical Service de Magarama et résidait au quartier Shatanya à Gitega. Olivier NDAYISHIMIYE est un militant du parti de l’opposition CNL dirigé par Agathon RWASA. Il n’avait pas de responsabilités dans les organes de ce parti et n’avait pas participé aux manifestations contre le troisième mandat de Pierre NKURUNZIZA en 2015.
  • Dieudonné NDUWAYEZU est né en 1986 sur la colline Bihanga, zone Mungwa, commune Gitega dans la province de Gitega. Marié et père de 2 enfants, Dieudonné Nduwayezu est le fils de Vincent NSHIMIRIMANA et d’Orupa NTIRANYIBAGIRA. C’était un jeune homme qui savait se débrouiller dans la vie selon ses amis : la journée, il assurait le transport rémunéré des personnes sur sa moto à partir du parking situé tout près de la station à essence connu comme « KWA FILIPO » au quartier Shatanya ; le soir, il poursuivait des études à l’Institut Supérieur Paramédical de Gitega (ISPG). Dieudonné NDUWAYEZU est un militant du nouveau parti CNL, sans responsabilités particulières dans les organes du parti, et n’a pas participé dans les manifestations contre le troisième mandat de Pierre NKURUNZIZA.
  • Térence Manirambona, né en 1988, est également originaire de la zone Mungwa, commune Gitega dans la province de Gitega. Célibataire et sans enfant, il avait obtenu son baccalauréat à la Faculté de psychologie et des sciences de l’éducation de l’Université du Burundi. Jusqu’au moment de sa disparition forcée, il était employé comme dactylographe à la société New Informatic’s Service de Magarama et résidait au quartier Nyabisindu. Membre du parti CNL, nos sources sont unanimes que la victime n’avait pas de responsabilités au sein de cette formation politique et qu’il n’avait pas pris part aux manifestations de 2015.

A.2. Circonstances de la disparition forcée des trois militants du parti CNL

  • L’enlèvement des trois militants du parti CNL, de même que celui de leur collègue Emmanuel NDAYISHIMIYE, se déroule en trois épisodes. Dans l’avant-midi du 18 Mars 2019, Olivier NDAYISHIMIYE, gérant du NEW INFORMATIC’S TECHNICAL SERVICE, un secrétariat public appartenant à un certain Jules NIYONGERE, veut faire des courses en ville. Il prend une moto-taxi et le motocycliste s’appelle Dieudonné NDUWAYEZU. Il ne savait pas qu’il était filé par des agents du SNR. Nos sources ne sont pas précises sur le lieu et l’heure de l’enlèvement d’Olivier et Dieudonné.
  • Aussitôt arrêtés, ils ont été conduits au quartier Magarama au secrétariat public NEW INFORMATIC’S TECHNICAL SERVICE. Lesdits agents du SNR dévalisèrent le secrétariat de la quasi-totalité de son matériel informatique et bureautique. Certains des biens emportés sont : deux ordinateurs portables, deux ordinateurs de bureau, une imprimante EPSON L805, deux imprimantes HP LAZERJET, deux imprimantes HP Jet d’encre, un appareil photo Canon professionnel, un appareil photo Nikkon simple, une caméra, un amplificateur MAX ainsi que des documents de travail dont des rapports.
  • Après ce pillage, Olivier NDAYISHIMIYE et Dieudonné NDUWAYEZU auraient été conduits à Songa (non loin de la ville) dans une maison qui appartiendrait au chef du Service National de Renseignement en province Gitega, Jovin CISHAHAYO, où ils ont été secrètement détenus.
  • Le même jour, Emmanuel NDAYISHIMIYE, un autre employé du secrétariat, reçut un appel téléphonique. Au bout du fil il reconnut la voix, c’était Olivier NDAYISHIMIYE, son collègue. Il lui aurait dit qu’il avait eu un accident vers Songa, au moment où il fuyait des policiers à sa trousse. Olivier aurait alors demandé à Emmanuel de lui apporter une pommade. Emmanuel NDAYISHIMIYE n’a pas tardé à trouver la pommade et à partir au lieu indiqué. Il aurait été cueilli dès son arrivée, par des agents du renseignement burundais, emmené dans un lieu secret à bord d’une voiture Toyota de type TI aux vitres teintées[1].
  • Le lendemain, 19 Mars 2019, le même traquenard utilisé pour arrêter Emmanuel NDAYISHIMIYE fut réédité pour tendre le piège à un troisième employé du secrétariat public NEW INFORMATIC’S TECHNICAL SERVICE, en la personne de Térence MANIRAMBONA. Il aurait été appelé par Olivier NDAYISHIMIYE avec la même demande de lui venir en aide avec une pommade pour masser sa jambe accidentée dans une fuite devant des policiers qui cherchaient à l’arrêter, le lieu restant toujours Songa. Térence tomba dans ce piège et disparut.
  • En suivant le fil des événements, notamment l’arrestation d’Emmanuel et Térence, les amis et proches des victimes sont convaincus que les bourreaux de Dieudonné NDUWAYEZU et d’Olivier NDAYISHIMIYE ont ordonné à Olivier d’utiliser son propre téléphone et d’appeler ses collègues afin que le SNR puisse mettre la main sur eux.

A.4. Plus victimes de l’appartenance politique de leur employeur que de leur propre militantisme.

  • Quoique des amis et des proches des victimes confirment l’appartenance des quatre jeunes hommes au principal parti d’opposition CNL, les informations parvenues au FOCODE ainsi que le témoignage de l’unique rescapé Emmanuel NDAYISHIMIYE, qui réapparut en date du 05 Avril 2019, soit dix-huit (18) jours après son arrestation-enlèvement, l’interrogatoire des agents du renseignement burundais se serait beaucoup concentré sur les relations qu’elles avaient avec leur employeur Jules NIYONGERE et l’endroit où il se trouvait à ce moment-là. A ce propos, Iwacu écrit « Emmanuel Ndayishimiye a révélé à sa famille que « des inconnus venaient tout le temps dans ma cellule de détention pour me dire que si je ne donne pas l’adresse de mon patron, Jules Niyongere, je ne serai jamais relâché». Ce dernier est un ancien démobilisé des FNL d’Agathon Rwasa[2]».
  •  Les téléphones des victimes auraient été minutieusement fouillés à la recherche du moindre indice qui pouvait aider dans la localisation de Jules NIYONGERE mais sans succès.  Jules NIYONGERE est un ancien combattant de l’ancienne rébellion du PALIPE-Hutu FNL, il a été démobilisé en 2009 après la signature de l’accord de cessez-le-feu entre ce mouvement et le gouvernement du CNDD-FDD en 2008. Lorsque le mouvement s’est transformé en parti politique, Jules NIYONGERE est resté membre du parti Forces Nationales de Libération (FNL) pro Agathon RWASA et il est pour le moment membre du CNL.

A.5. Réapparition d’Emmanuel NDAYISHIMIYE et son témoignage.

  1. En date du 05 Avril 2019, sur la colline Mirama, zone Mubuga, à la rive de la rivière Ruvubu, des habitants qui se rendaient dans les champs trouvèrent un jeune homme aux mains menottées et au visage bandé. Son nom : Emmanuel NDAYISHIMIYE. Il avait miraculeusement échappé à une exécution la nuit précédente et il raconta son calvaire à ces habitants de Mirama qui décidèrent de le remettre aux militaires de la position la plus proche. Voici le témoignage tel que rapporté par le journal Iwacu[3] :

L’horreur racontée par Ndayishimiye.

 Jeudi 4 avril.

C’est vers 23 heures, la veille, que M. Ndayishimiye est embarqué dans une voiture. Il a les yeux bandés et menotté. Ceux qui l’emmènent, des hommes en tenue policière, lui disent qu’il va être « transféré à Bujumbura. » Jusque-là, il était détenu quelque part dans une maison au chef-lieu de la province Gitega.

Le jeune homme n’a rien oublié de ce terrible voyage. Alors qu’ils roulent, au bout d’un moment, leur véhicule ralentit. Une barrière. Un homme, certainement un policier, veut contrôler le véhicule. Ces autres « policiers » se moquent de lui, d’un ton menaçant. « Comme tu aimes contrôler…Trouves-tu que c’est un mini bus « Hiace » de transport ou une voiture « Probox » ? Terrorisé, il comprend que le policier a levé la barrière car leur voiture repart.

Quelques minutes après, la voiture qui l’emmène emprunte une route en terre battue. Emmanuel Ndayishimiye prend peur.

Il comprend que ce n’est pas « un transfert vers Bujumbura. » Il connaît le trajet Gitega-Bujumbura. La route est macadamisée. Il tente d’ôter le foulard qui recouvre son visage. Sans succès. Mais après plusieurs tentatives, il y parvient un peu. D’un œil, il peut voir à l’extérieur.

Il reconnaît les lieux. La voiture vient de s’engager sur la route qui passe par le pied de la colline Mirama, non loin de la rivière Ruvubu.

C’est à ce moment qu’il comprend que tout est fini pour lui. A ses côtés, il voit qu’il est avec deux autres jeunes bandés et menottés comme lui. Le véhicule qui les embarque est de type « Hilux. »

L’exécution.

Le Hilux s’arrête. Les ravisseurs font sortir un à un les jeunes. Emmanuel Ndayishimiye arrive à reconnaître Olivier Ndayishimiye et Térence Manirambona. Tous, des collègues à lui dans un secrétariat public au quartier Magarama près du chef-lieu de la commune Gitega.

Arrive alors son tour. Alors qu’un des ravisseurs ouvre la portière du Hilux, un autre véhicule survient de la direction de Mubuga. Il s’arrête et allume les phares à longue portée.

Le lieu du meurtre est éclairé. Visiblement gênés par la voiture inattendue, les ravisseurs paniquent. Ils referment le véhicule et se dirigent vers la voiture dont les phares éclairent la nuit. Dans leur précipitation, ils oublient de bloquer les portières.

Emmanuel Ndayishimiye en profite, sort de la voiture et court vers la Ruvubu et se terre dans les roseaux qui bordent la rivière.

Peu après, les ravisseurs reviennent. Ils cherchent, fouillent la brousse tout en passant des coups de fil de temps à autre, en criant que «la mission a été accomplie sauf un seul qui vient de disparaître».

Vers 4 heures du matin, craignant que le jour se lève sur eux, ils abandonnent les recherches. Dans l’eau, M. Ndayishimiye s’accroche toujours sur des roseaux. C’est à l’aube qu’il est retrouvé en piteux état par des habitants de Mirama qui se rendent aux champs. Ceux-ci, après l’avoir entendu, vont le remettre à une position militaire érigée au barrage hydroélectrique de la Ruvubu.

Le commandant de cette position décide de prévenir la famille de Ndayishimiye. Celle-ci vit à la colline Bwoga, à près d’une vingtaine de kilomètres de là.

  • Le témoignage d’Emmanuel est d’autant plus vrai que dans la matinée du 10 Avril les habitants de la même colline de Mirama ont repêché un cadavre d’un homme dont le visage était bandé avec un foulard blanc et l’ont enterré dans un champ près de la rivière. Selon les témoignages concordants, il est très probable qu’il soit celui d’Olivier NDAYISHIMIYE ou de Térence MANIRAMBONA, à en croire la description fournie par le rescapé. Néanmoins, des informations qui sont parvenues au FOCODE indiquent que des personnes inconnues seraient venues plus tard, auraient déterré le cadavre et l’auraient déplacé dans un autre lieu jusqu’ici inconnu.

A.6. Présumés auteurs de la triple disparition forcée

  • Le comportement des agents du SNR à Gitega et des autorités policières, plus particulièrement le commissaire provincial, OPC1 Delachance HARERIMANA, en dit long sur l’implication des corps de sécurité dans cette triple disparition. D’après les informations concordantes recueillies par le FOCODE dans le cadre de la présente enquête, les personnes impliquées sont notamment:
  • Jovin CISHAHAYO, alors chef du Service National de Renseignement en province de Gitega. Après leur arrestation, les victimes auraient été secrètement détenues dans une maison se trouvant sur la colline Songa, près de la ville de Gitega, laquelle maison appartiendrait à Jovin CISHAHAYO. De même, la voiture Toyota TI aux vitres teintées utilisée dans l’arrestation d’Emmanuel NDAYISHIMIYE en date du 18 Mars 2019 appartiendrait au même chef du SNR à Gitega. Jovin CISHAHAYO est déjà cité dans plusieurs autres cas de violations de droits humains y compris des meurtres et des disparitions forcées, surtout lorsqu’il était chef du SNR en province de Rutana.
  • OPC1 Delachance HARERIMANA : l’implication personnelle du commissaire provincial apparait au grand jour avec la réapparition d’Emmanuel NDAYISHIMIYE. En effet, selon le reportage du Journal Iwacu, il est clair que M. HARERIMANA était profondément troublé par cette réapparition et a cherché à le faire disparaitre de nouveau. Pourquoi un tel acharnement du commissaire HARERIMANA sur Emmanuel NDAYISHIMIYE ? Peut-être qu’il ne voulait pas que ce rescapé livre son témoignage. Voici l’extrait du reportage :

[…] Mais sur ces collines, les nouvelles vont vite. D’après elle, Delachance Harerimana, le commissaire de police en province Gitega, débarque sur place quelques minutes après. Son attitude est surprenante. Il paraissait agacé de voir tout ce monde. « Pourquoi êtes-vous ici ? Etes-vous d’ici ou bien ?»

Il veut emmener avec lui Emmanuel Ndayishimiye ‘‘pour des enquêtes’’. Le commandant militaire accepte de le lui remettre mais exige d’attester la réception du jeune homme par écrit.

Le commissaire Harerimana ne semble pas d’accord. Il feint d’aller chercher une clé pour déverrouiller les menottes qui entravent toujours le jeune homme et « repart sur le coup sans plus dire un mot».

Le reste des événements est comme un film. Vers 14h, ce vendredi, le commandant décide d’accompagner la famille au chef-lieu de la province Gitega. Emmanuel Ndayishimiye est remis à un officier de police judiciaire pour instruction.
Il l’interrogera jusque vers 21 heures du soir et décidera de le relâcher. Il est mal en point, des enflures sur tous le corps et une grosse blessure sur la jambe droite. Sa famille et compagnons repartent chez eux avec le leur et prennent la direction du centre de santé de Bwoga pour chercher des soins médicaux. « Nous étions heureux de retrouver le nôtre».

Toutefois, sur le chemin de retour, ils revoient et reconnaissent une voiture communément appelée TI à bord de laquelle était le commissaire de cet avant-midi. Elle les dépasse.

Peu après, l’OPJ qui a relâché Ndayishimiye les rattrape. « Vous êtes encore-là ?». Il embarque sur sa moto Emmanuel Ndayishimiye jusqu’au centre de santé de Bwoga. Pas pour longtemps.

Le commissaire emmène le malade

Quand la famille y arrive, peu après, le commissaire est déjà sur place et les empêche d’entrer. « Au bout de quelques minutes, nous avons vu notre malade muni d’un sérum et l’infirmier qui l’avait accueilli sortir et monter manu militari dans la voiture du commissaire. Le commissaire nous a dit que le malade va être soigné à l’hôpital ».

Photo publiée par le journal Iwacu
  • Emmené par ce commissaire, Emmanuel NDAYISHIMIYE va encore une fois disparaitre, le commissaire refusera tout contact avec la famille et avec les journalistes, même comportement du côté du porte-parole de la police nationale. Tel un film de science-fiction, Emmanuel NDAYISHIMIYE sera déposé par des agents du SNR au bureau de la commune Gitega en date du 25 Avril 2019 où sa famille a pu le récupérer. Néanmoins, le FOCODE reste préoccupé pour sa sécurité.

A.7. Efforts déployés par les familles des victimes pour retrouver les disparus.

  • Dans le contexte prévalant au Burundi depuis Avril 2015, il relève d’un courage exceptionnel de la part des membres des familles des victimes pour oser demander le sort des leurs, sachant qu’elles ont été arrêtées soit par le SNR, soit par des éléments de la police nationale ou de l’armée, soit par des miliciens Imbonerakure. L’existence des cachots secrets rendent aussi très compliqué le travail de recherche.
  • Les familles ont bravé tous les dangers, ont fait fi des menaces pesant sur elles pour se lancer à la recherche des leurs dans les lieux de détention officiels mais n’ont trouvé aucun indice pouvant les renseigner sur le sort des quatre hommes. Les réseaux sociaux ont été mis à contribution mais les organes de l’Etat qui les détenaient sont restés muets. Ce silence est devenu davantage plus surprenant et plus insupportable après les deux réapparitions d’Emmanuel NDAYISHIMIYE. En effet, pour la toute première fois, un survivant d’une opération de disparition forcée témoignait et devenait une preuve irréfutable de l’implication des organes de l’Etat dans les disparitions forcées observées au Burundi depuis 2015.
  • Le témoignage sans appel d’Emmanuel NDAYISHIMIYE sur la détention secrète à Songa, l’exécution très probable d’Olivier NDAYISHIMIYE et de Térence MANIRAMBONA pendant la nuit fatidique du 04 Avril à Mirama ainsi que le comportement de la police de Gitega sur le dossier d’Emmanuel NDAYISHIMIYE ont mis fin à tout l’espoir des familles de retrouver vivantes les victimes. Néanmoins, la campagne Ndondeza n’a pas pu avoir des informations sur le sort probable de Dieudonné NDUWAYEZU.

B. Disparition forcée de Monsieur Vital NYANDWI, arrêté deux jours après son retour d’exil

B.1. Identification de la victime

  • Fils de Philippe NTEMBAGARA et d’Immaculée RUMINUZA, Vital NYANDWI est né en 1985 sur la colline Kinama de la commune Gisuru, province Ruyigi. Marié et père de quatre (4) enfants, la victime vivait de sa profession de cultivateur comme la majorité des burundais. Au camp des réfugiés de Nduta en Tanzanie où il s’était réfugié en 2015, il avait monté un business d’un petit restaurant pour pouvoir compléter la ration mensuelle donnée aux réfugiés.
  • Selon des informations recueillies par la campagne Ndondeza auprès des habitants de la colline natale de Vital NYANDWI, ce dernier était membre du parti Forces Nationales de Libération (FNL), aile dirigée par Agathon RWASA et qui n’était pas reconnue par le gouvernement du Burundi. Bien que les membres de ce parti aient été très actifs dans les manifestations de 2015 contre le troisième mandat de Pierre NKURUNZIZA, nos sources à Gisuru rapportent que Vital NYANDWI n’avait pas participé auxdites manifestations.   

B.2. Contexte de la disparition forcée de Monsieur Vital NYANDWI

Le Retour d’exil

  • Exilé en 2015, Vital NYANDWI est parti seul en Tanzanie laissant sa famille au Burundi et a résidé pendant trois ans au Camp des réfugiés de Nduta. Sa famille est restée dans des conditions très précaires étant donné que le père de famille n’était plus là pour subvenir aux besoins des siens. Trois ans après, la situation familiale étant devenue intenable, Vital NYANDWI, par ailleurs encouragé par les appels intempestifs du président NKURUNZIZA et du gouvernement burundais au retour des réfugiés, commença à envisager son rapatriement.
  • C’est dans cette optique que certains membres de la famille de Vital NYANDWI sont allés voir l’administrateur de la commune Gisuru, Aloys NGENZIRABONA, pour lui faire part de cette idée de Vital de retourner parmi les siens. Les proches de Vital NYANDWI voulaient que l’administration puisse lui garantir la protection après son retour au bercail. L’administrateur NGENZIRABONA aurait juste demandé : « A-t-il commis une quelconque infraction contre le parti CNDD-FDD avant de fuir ? » Ils ont répondu que non. L’administrateur aurait ainsi rassuré que Vital NYANDWI était libre de retourner dans sa famille. Ainsi donc les conditions étaient réunies pour un rapatriement volontaire en « sécurité ».
  • Mercredi 13 Mars 2019, Vital NYANDWI est arrivé sur sa colline natale de Kinama et a été accueilli dans la joie. Une petite fête familiale a même été organisée en son honneur mais aussi pour informer les voisins de son retour.
  • Dès le lendemain, des informations faisant état d’un plan des miliciens imbonerakure visant à arrêter Vital NYANDWI ont commencé à circuler au chef-lieu de la commune Gisuru et à se faire de plus en plus précises au fur des heures. Vital NYANDWI fut également informé de sa possible arrestation par les miliciens du parti au pouvoir qui digéraient mal le retour des réfugiés taxés d’ennemis du CNDD-FDD et du pays. Connaissant l’intolérance politique dont font preuve ces miliciens ainsi que la cruauté de leurs actes, un des membres de la famille aurait conseillé à Vital NYANDWI de retourner au camp de Nduta pour avoir la vie sauve. Ce dernier lui aurait rétorqué qu’il n’en était plus question : « Je n’ai aucune intention de retourner en exil car je suis venu légalement et je ne présente aucune menace pour la sécurité ».

Arrestation et disparition forcée.

  • Vendredi 15 Mars 2019, vers 14 heures locales (GMT+2), Vital NYANDWI fut appelé au téléphone par Richard NTIRAMPEBA, un milicien Imbonerakure connu à Gisuru. Il invita NYANDWI à le rejoindre à l’endroit communément appelé « Kw’i Barrière » pour « partager un Fanta[4] ». C’est un endroit où est érigé (jusqu’au moment où nous enquêtions sur le présent cas) une barrière qui sert de point de contrôle du trafic entre le Burundi et la Tanzanie voisine ; on y trouve des policiers et des agents de l’Office Burundais des Recettes (OBR). Un bistrot est également installé tout près de cette barrière, ce qui en fait un endroit assez fréquenté et connu.
  • Soucieux de faire connaissance avec l’entourage et surtout les autorités administratives et sécuritaires, dans sa volonté de démontrer sa bonne foi aux membres du parti au pouvoir, Vital NYANDWI a positivement répondu à l’invitation du milicien NTIRAMPEBA et s’y est rendu en compagnie de son épouse. Arrivé à « Kw’i Barrière », il a trouvé le milicien Richard NTIRAMPEBA assis avec Benoît DEMBE, sous-officier de corps à la brigade de police de Gisuru. Ils ont accueilli Vital et lui ont acheté une bouteille d’Amstel[5]. Avant même qu’il ne puisse en prendre une seule gorgée, des policiers ont fait irruption, ont menotté Vital NYANDWI les bras et les pieds, ont versé le contenu de sa bouteille d’Amstel sur lui et l’ont jeté dans un véhicule de type Hilux double cabine qui, selon nos sources, serait celui du commissaire provincial de la  police à Ruyigi, Olivier NIBIGIRA. Il fut conduit immédiatement au cachot de la brigade de Gisuru et l’OPJ aurait été menacé en ces termes : « si jamais Vital NYANDWI s’évade du cachot, que vous partiez ensemble ».  Aussitôt, la famille a alerté l’administrateur Aloys NGENZIRABONA pour qu’il puisse intervenir et ainsi obtenir la libération de Vital NYANDWI.
  • Le même jour, il était organisée à Gisuru une réunion de sécurité à laquelle prenaient part les hautes autorités administratives et sécuritaires de la province dont le gouverneur, le commissaire provincial de police, le responsable du Service National de Renseignement (SNR) ainsi que le commandant du camp militaire de Mutukura à Cankuzo[6]. Vers la fin de la réunion, selon les témoignages recueillis auprès des personnes qui étaient sur place, l’administrateur de Gisuru aurait informé les autorités provinciales présentes du cas de Vital NYANDWI qui venait de se faire arrêter.
  • A la fin de la réunion, le gouverneur, le commissaire provincial, le responsable du SNR et le commandant du camp de Mutukura auraient décidé d’aller au cachot de la brigade Gisuru pour voir et interroger Vital NYANDWI. Les questions lui posées par ces autorités auraient porté sur son appartenance aux groupes armés, les relations avec certaines personnes vivant à Bujumbura, etc. Après cet interrogatoire, le commissaire Olivier NIBIGIRA aurait demandé qu’on emmène M. NYANDWI à Ruyigi, ce que ses collègues n’auraient pas accepté, lui opposant l’argument qu’ils ne trouvaient aucune charge qui méritait un transfèrement à Ruyigi. Vital NYANDWI est retourné dans la cellule où se trouvaient d’autres détenus. Le surnombre de détenus et l’absence totale d’aération (cellule sans fenêtre) faisaient que les prisonniers suffoquaient de chaleur. Pour respirer il fallait enlever les vêtements et rester en sous-vêtements. Entre 17 heures et 18 heures, Vital NYANDWI a eu une visite d’un membre de sa famille. 
  • D’après une première source, il était aux environs de 19 heures 30 minutes, quand Vital NYANDWI fut violemment sorti du cachot de la brigade de Gisuru par des agents du SNR sans même lui donner le temps de remettre ses habits car il fut emporté en culotte (sous-vêtement), menottes aux mains et aux pieds; ils l’auraient embarqué dans le véhicule du responsable provincial du SNR, M. Epitace NDAYIRAGIJE, qui aurait pris la direction de Ruyigi. Avant de partir, Vital NYANDWI aurait dit à ses codétenus qu’à voir la manière dont ils venaient le chercher, il craignait pour sa vie. Arrivé au chef-lieu de la province RUYIGI, le véhicule aurait fait escale derrière la prison de Ruyigi, aux environs de 21 heures, avant de se diriger au bureau du SNR où Vital NYANDWI aurait été détenu avant la perte de toute trace de lui.
  • A la suite de l’émission Ndondeza diffusée sur les ondes de la radio UMURISHO le 5 mai 2019, une source interne au SNR a donné au FOCODE une autre version des faits qui ne s’écarte de la précédente que sur le présumé responsable de la disparition forcée de Vital NYANDWI. En effet, selon cette source, après l’interrogatoire de Vital NYANDWI par les hautes autorités citées plus haut, ces dernières seraient rentrées à Ruyigi sauf le commissaire provincial de la police qui aurait retardé son départ sans raison apparente. Aux environs de 19 heures 30 minutes, Olivier NIBIGIRA serait venu avec sa garde, prendre Vital NYANDWI au cachot de la brigade de police à Gisuru. Ils auraient été d’une telle violence qu’ils ne lui auraient même pas autorisé à mettre ses habits. Selon des informations livrées par ses codétenus, il a été emmené en sous-vêtements, les pieds et les mains menottés. Informé de ce kidnapping, l’administrateur communal aurait appelé le commissaire Olivier NIBIGIRA et lui aurait demandé s’il venait de prendre Vital NYANDWI, la réponse du commissaire aurait été négative.
  • Quoique cette source ne précise pas la direction qu’aurait emprunté le véhicule du commissaire, elle complète la première notamment en livrant des informations clés sur certains repères géographiques pouvant renseigner sur la possible destination de Vital NYANDWI. En effet, selon toujours cette seconde source, il n’y a pas de route derrière la prison de Ruyigi. Il y a seulement un simple chemin utilisé par des piétons et ce chemin mène directement au commissariat provincial de la police à Ruyigi, donc au bureau du commissaire Olivier NIBIGIRA. Le bureau du responsable du SNR à Ruyigi, a poursuivi notre source, se trouve dans le building abritant le bureau du gouverneur, donc un lieu assez fréquenté et ouvert où il serait impossible d’emprisonner des gens.
  • Toutes les deux sources s’accordent sur une chose et c’est la plus importante : un citoyen du nom de Vital NYANDWI a été arrêté en date du 15 Mars 2019 par des agents de la police nationale. Il fut emprisonné au cachot de la brigade de police à Gisuru, il fut interrogé par les hautes autorités de la province dont le gouverneur. Aux environs de 19 heures 30 minutes, il fut enlevé du cachot, menotté et embarqué dans un véhicule double cabine pour une destination jusqu’ici inconnue.

B.3. Efforts de la famille de la victime pour retrouver Vital NYANDWI.

  • Les circonstances de l’arrestation et de la disparition forcée de Vital NYANDWI posent de sérieuses questions sur la sécurité des opposants au Burundi et plus particulièrement des rapatriés qui avaient fui la répression consécutive à la contestation du troisième mandat de Pierre NKURUNZIZA. En effet, Vital NYANDWI est rentré d’exil sur accord, sinon permission préalable, de l’administrateur communal de Gisuru ; il fut pourtant arrêté en pleine journée, en présence de son épouse et bien d’autres passants. Des preuves irréfutables de son emprisonnement au cachot de la brigade Gisuru sont là, notamment la visite des autorités provinciales dont le gouverneur. Mais tout cela n’a pas empêché qu’il soit sorti de prison et disparut. Un crime grave commis par des corps de l’Etat sans même se voiler la face et qui n’a été suivi d’aucune enquête officielle jusqu’au moment de la rédaction de ce rapport. La disparition forcée de Vital NYANDWI, 48 heures seulement après son retour d’exil, rappelle d’autres cas similaires déjà documentés par le FOCODE notamment celui de Sylvain MAGORWA le 30 septembre 2018 à Cankuzo et celui de Jean-Marie Vianney NSHIMIRIMANA le 31 octobre 2018 à Mutanga Nord (Ville de Bujumbura) qui furent arrêtés par des agents de l’Etat burundais à leur retour d’exil. Nos inquiétudes que l’appel au rapatriement lancé par le Président NKURUNZIZA serait un piège pour éliminer les opposants qui avaient pu lui échapper risquent de se confirmer.
  • La stature et la puissance des personnalités accusées de commettre ces crimes découragent presque totalement les familles des victimes de porter plainte en justice. La famille et les amis de Vital NYANDWI ont essayé de glaner des informations sur la destination de la victime. Les informations reçues parfois contradictoires étaient visiblement destinées à brouiller toutes les pistes et blanchir les bourreaux. Ainsi, on dira à la famille que Vital NYANDWI a été conduit à Ruyigi, qu’après un passage derrière la prison de Ruyigi il a été conduit au bureau bu SNR où il aurait été emprisonné pendant quelques jours avant de disparaitre ; qu’il aurait été transféré à la prison de Muramvya, une thèse aussitôt démentie par une source à la prison de Muramvya ; et enfin qu’il aurait été conduit à Kibondo en Tanzanie par le commissaire Olivier NIBIGIRA pour des activités de renseignement, une thèse qualifiée de mensonge par nos sources à Ruyigi et Gisuru du simple fait que le trajet Gisuru-Kibondo puis Kibondo-Ruyigi ne pouvait pas se faire en une seule nuit.
  • L’administrateur communal de Gisuru et le procureur de la République à Ruyigi ont été approchés par la famille pour aider à retrouver la victime mais aucune action n’a été menée par ces deux autorités jusqu’ici. La famille est complètement désespérée et ne sait plus quoi faire.

B.4. Présumés auteurs de la disparition forcée de Vital NYANDWI

  • La disparition forcée de Vital NYANDWI pose des questions intrigantes : qui a ordonné l’arrestation de M. NYANDWI et son emprisonnement au cachot de la brigade de Gisuru ? Qui a pu pénétrer dans la brigade et sortir du cachot un détenu pendant la nuit ? Pourquoi l’administrateur communal de Gisuru et le procureur de la République à Ruyigi sont-ils restés muets face à ce crime ?  Sûrement que la personne responsable est tellement puissante pour entrer dans un camp de police et y faire tout ce qu’elle veut et après intimider l’administration communal et la justice. 
  • En première position vient le milicien imbonerakure Richard NTIRAMPEBA qui a piégé la victime par son appel téléphonique. En deuxième position, il y a Benoit DEMBE, le sous-officier de corps à la brigade de police de Gisuru. C’est une autorité assez puissante dans cette circonscription et il serait responsable de l’emprisonnement de la victime au cachot de la brigade. Il ne serait pas non plus ignorant de qui a sorti M. NYANDWI du cachot après des heures de service.
  • En 3ème position vient le commissaire provincial Olivier NIBIGIRA. Il aurait retardé son départ pour Ruyigi et c’est lui qui serait allé prendre Vital NYANDWI au cachot de la brigade de Gisuru. Etant responsable de la police sur tout le territoire de la province, personne n’aurait pu s’opposer à ses ordres. Le garde-cachot ne pouvait même pas oser lui demander de signer dans le registre des détenus.
  • Enfin, il y a Epitace NDAYIRAGIJE, alors responsable provincial du SNR qui a participé à l’interrogatoire de Vital NYANDWI au cachot, qui se serait opposé à son transfèrement à Ruyigi, pourtant voulu par le commissaire NIBIGIRA mais aussi cité par la première source comme responsable de la disparition. Une confrontation de ces deux personnalités devant une commission d’enquête indépendante pourrait permettre d’accoucher la vérité sur le sort de la victime. D’autres personnes comme le gouverneur de Ruyigi, Elie BASHINGWA, l’administrateur de Gisuru, Aloys NGENZIRABONA, et le commandant du Camp Mutukura devraient également faire objet de l’enquête sur la disparition forcée de Vital NYANDWI.

C. Disparition forcée de Monsieur Silvère BARIBONEKEZA, responsable du parti CNL.

C.1. Identification de la victime

  • Fils de Simon TUYAGAMUKENGA et de Adèle BARAKAMFITIYE, Silvère BARIBONEKEZA est né en 1960 sur la colline Bikinga, zone Bukoro de la commune Nyarusange en province Gitega (centre du pays). Marié, M. BARIBONEKEZA est père de sept (7) enfants dont cinq (5) filles et deux (2) garçons. Jusqu’au jour de sa disparition forcée, Silvère BARIBONEKEZA faisait vivre sa famille grâce à son métier d’agriculteur.
  • Les membres de la famille biologique de Silvère BARIBONEKEZA ainsi que les militants du parti Congrès National pour la Liberté (CNL) à Nyarusange ont dit à la campagne Ndondeza que M. BARIBONEKEZA était membre et représentant de ce parti au niveau de la zone Bukoro. Il avait également représenté dans la même zone l’ancien parti FNL d’Agathon Rwasa et avait subi des emprisonnements à cause de cet engagement politique. Quoiqu’opposé au troisième mandat de Pierre NKURUNZIZA, Silvère BARIBONEKEZA n’avait pas participé aux manifestations populaires de 2015.

C.2. Contexte de la disparition forcée de Monsieur Silvère BARIBONEKEZA

  • La nuit du 20 Mars 2019, aux environs de minuit, le ménage de Silvère BARIBONEKEZA situé sur la colline Bikingi, zone Bukoro de la commune Nyarusange en province Gitega a été attaqué par des personnes en tenue militaire de l’armée burundaise. Ils ont intimé à Silvère BARIBONEKEZA l’ordre d’ouvrir la porte de la maison, celui-ci ayant refusé d’obtempérer, ils ont défoncé la fenêtre de sa chambre à coucher, se sont introduits à l’intérieur de la maison et l’ont sorti nu par la fenêtre sans même lui donner le temps de mettre des vêtements.  Quand il les a suppliés de lui permettre de s’habiller, ils lui auraient rétorqué : « Nous allons te donner des vêtements nous-mêmes ».
  • Dans les jours qui ont précédé cet enlèvement, Silvère BARIBONEKEZA avait reçu des menaces lui proférées par des responsables du parti CNDD-FDD et des miliciens Imbonerakure sur son affiliation au nouveau parti d’opposition CNL.
  • Une source a confirmé à la Campagne NDONDEZA qu’il avait reconnu des miliciens Imbonerakure de la colline Bikingi parmi les personnes en tenue militaire ayant enlevé nu le quinquagénaire Silvère BARIBONEKEZA.

C.3. Manœuvres opérées par des autorités administratives et policières en vue de fausser les pistes de recherche.

  • Le lendemain de l’enlèvement de Silvère BARIBONEKEZA, à l’aube du 21 Mars 2019, l’administrateur communal de Nyarusange, le commissaire de police dans la même commune et trois (3) membres du conseil de colline natale de la victime, sont arrivés sur la colline Bikingi et ont sommé toute la population de la colline à cesser ses activités afin de se mobiliser à la recherche de la personne disparue, dans les marais, dans les buissons et dans les rivières de la localité ; des recherches qui en fin de compte n’ont produit aucun résultat positif puisque la victime n’a pas pu être retrouvée.
  • Au moment où ces responsables administratifs et sécuritaires s’activaient dans cette recherche aux allures d’une diversion destinée à fausser les pistes et à protéger les vrais bourreaux, Salvator BIGIRIMANA, sentinelle à la succursale catholique de Gasivya (une sous-colline de Bikingi) a donné une information qui a fait l’effet d’une bombe chez ces administratifs et toute la population attelée dans cette recherche.
  • Voyant les recherches se concentrer sur cette colline seulement et voulant innocemment aider ces responsables administratifs qu’il croyait de bonne foi, Salvator BIGIRIMANA, militant du parti CNDD-FDD, a dit avoir vu une camionnette de type Toyota Hilux qui est venue, les phares éteints, pendant la nuit fatidique et qui a été dissimulée par ses occupants non loin de la succursale dont il avait la garde. Les occupants seraient ensuite partis à pied. Le véhicule serait reparti après un temps que la sentinelle n’a pas pu estimer.
  • Très embarrassé par cette révélation, le commissaire communal la de police a sévèrement réprimandé Salvator BIGIRIMANA. Son tort ? Il aurait dû taire cette information étant donné que lorsqu’il avait vu le fameux véhicule, il n’avait pas alerté pour que ces gens puissent être arrêtés. Le commissaire a par la même occasion ordonné son arrestation et sa garde à vue au cachot de la commune Nyarusange.
  • Une autre personne arrêtée pour des raisons d’enquête est Philippe BARASOKOROZA, le frère de Silvère BARIBONEKEZA. Selon nos sources, le commissaire communal a justifié l’arrestation par un motif fallacieux d’un malentendu social qui se serait manifesté entre les deux frères dans les jours qui ont précédé la disparition de Silvère.
  • Tous les deux hommes furent d’abord emprisonnés au cachot de la commune Nyarusange puis transférés au cachot du commissariat provincial de la police à Gitega. Pourtant, la population de la zone Bukoro est convaincue que les personnes appréhendées sont innocentes.

C.4. Les présumés auteurs de l’enlèvement et de la disparition forcée de Silvère BARIBONEKEZA.

  • La Campagne NDONDEZA a pris connaissance des révélations confidentielles d’un témoin oculaire affirmant que parmi les auteurs de l’enlèvement de Silvère BARIBONEKEZA figurent un certain Stany NAHIMANA, chef de la milice Imbonerakure du CNDD-FDD en zone Bukoro ainsi que le chef de la colline de Bihomvora[7], Térence NTAMUBWIRIZA.
  • Les manœuvres de diversion concoctées par l’administrateur communal de Nyarusange et le chef de la police, plus particulièrement l’arrestation et l’emprisonnement de Salvator BIGIRIMANA, sentinelle à la succursale de l’Eglise catholique de Gasivya suite aux révélations embarrassantes qu’il a faites, l’arrestation et l’emprisonnement de Philippe BARASOKOROZA, le frère de la victime sur un alibi de conflit familial, tous ces éléments constituent une piste que les enquêteurs devraient privilégier.
  • Le véhicule qui aurait emmené Silvère BARIBONEKEZA appartiendrait au responsable du Service National de Renseignement (SNR) à Gitega.

C.5. Efforts consentis par la famille et les amis pour retrouver la victime.

  • Malgré les menaces proférées par les administratifs et les miliciens imbonerakure, la famille et les amis ont fait ce qu’ils pouvaient faire pour tenter de localiser le lieu où serait détenu Silvère BARIBONEKEZA. C’est ainsi qu’ils se sont rendus dans les lieux de détentions officiels à Nyarusange et Gitega, y compris les geôles gérées par le SNR, mais n’ont pas trouvé Silvère BARIBONEKEZA.
  • L’enlèvement et la disparition forcée de Silvère BARIBONEKEZA a plongé sa famille dans le désarroi le plus total, ne sachant pas s’il faut faire le deuil ou s’il fallait continuer la recherche. Les militants du Congrès National pour la Liberté de la commune Nyarusange en général et de la zone Bukoro en particulier vivent la peur au ventre, chacun se demandant s’il ne sera pas la prochaine victime. Certains ont déjà fait le choix de la vie en clandestinité.

D. Disparition forcée de Monsieur Isaïe BATUMUNWA alias KIRANDARANDA

D.1. Identité de la victime

  • Fils de Mathias YAGA et d’Esther NDABATEZE, Isaïe BATUMUNWA, plus connu sous le sobriquet de « KIRANDARANDA » est né en 1972, sur la colline Bwayi de la zone Buseruko en commune Mugina, province Cibitoke (Nord-Ouest du pays). Il était résident de cette même colline jusqu’au jour de son enlèvement. Marié et père de huit (8) enfants, « KIRANDARANDA » faisait vivre sa famille par l’agriculture et le petit commerce.
  • A entendre les témoignages de ses amis et proches, la vie d’Isaïe BATUMUNWA alias KIRANDARANDA est synonyme de combat politique, un fidèle de première heure du mouvement Palipehutu-FNL qu’il intégra en 1990 comme combattant. En 1997, il fut arrêté au chef-lieu de la commune Mugina, subit plusieurs formes de tortures dont un coup de poignard au niveau de l’épaule avant d’être envoyé à la prison centrale de Mpimba dans la ville de Bujumbura où il séjournera plus de trois ans.
  • Après sa libération en 2000, KIRANDARANDA est rentré dans sa famille et a réintégré la vie civile sans pour autant abandonner la lutte politique au sein de la rébellion du Palipehutu-FNL, il sera cette fois-ci chargé de la mobilisation politique pour le mouvement. KIRANDARANDA ne restera pas longtemps dans cette vie civile. Il rempila quelques temps après le treillis militaire de son mouvement jusqu’à la signature des accords de cessez-le-feu entre le gouvernement du CNDD-FDD et le Palipehutu-FNL en 2008. A la fin des hostilités, il opta pour la démobilisation avec le grade de sous-lieutenant et devint le représentant des démobilisés des FNL en province de Cibitoke. Après la démobilisation, KIRANDARANDA retrouva sa fonction de mobilisateur politique du parti FNL aile d’Agathon RWASA et occupait la même fonction au sein du nouveau parti CNL. Ses compagnons de lutte le décrivent comme un militant très influent au sein du CNL.
  • Son passé de combattant, sa fidélité sans faille à sa famille politique et son talent de mobilisateur lui ont valu une haine viscérale de la part de certains ténors du parti CNDD-FDD en commune de Mugina et dans la province de Cibitoke. Il avait déjà échappé à plusieurs attentats qui visaient son élimination physique et à plusieurs tentatives d’arrestations.

D.2. Contexte de l’enlèvement et de la disparition forcée de Monsieur Isaïe BATUMUNWA alias KIRANDARANDA.

  • Tout se passe dans la matinée du lundi 22 Juillet 2019. Isaïe BATUMUNWA a quitté le matin sa résidence sise à la colline Bwayi de la zone Buseruko pour se rendre à Nyeshenza, chef-lieu de la commune Mugina (sa commune) qui se trouve dans la zone de Rugajo. Avant de se rendre au marché de Nyeshenza, il est passé déposer sa moto de type DT chez un mécanicien pour des réparations mineures.
  • Arrivé près du marché, devant une agence de la Coopérative Solidarité avec les Paysans pour l’Epargne et le Crédit (COSPEC), il a été approché par un véhicule de type Jeep Prado noir aux vitres teintées, muni d’un porte-bagages au-dessus, sans plaque d’immatriculation à l’arrière tandis que sur celle de devant, seuls trois chiffres, « 262 », étaient visibles. Trois hommes armés dont deux en tenue militaire de l’armée burundaise et un autre en tenue de sport communément appelée « training » sont sortis du véhicule et ont embarqué Isaïe BATUMUNWA. Il était peu après sept heures du matin (GMT+2), devant une foule de passants.
  • Des sources sur place ont rapporté à la Campagne Ndondeza que ledit véhicule avait été vu à Nyeshenza la veille mais que personne n’avait cherché à savoir qui étaient les occupants et quel était le motif de leur présence. Selon ces sources, l’enlèvement aurait été facilité par un ancien combattant démobilisé du CNDD-FDD, natif et résident de Mugina, un certain Boniface YARANYUMVIYE qui, par sa filature, aurait guidé ces kidnappeurs jusqu’à l’endroit où la victime a été enlevée. Cette information a été confirmée par le journal en ligne SOS-MEDIA/BURUNDI :

« Nous avons vu un responsable des Imbonerakure (jeunes affiliés au parti CNDD-FDD) au niveau de la commune du nom de Boniface qui pointait le doigt vers Batumunwa », rapportent des habitants de Nyeshenza[8].

  • Le véhicule a d’abord pris la direction nord vers la commune frontalière de Mabayi puis a fait demi-tour pour se diriger vers Bujumbura. Les témoins qui assistaient impuissants à l’enlèvement se rendront compte par après qu’en prenant la direction de Mabayi, les bourreaux allaient tout simplement chercher la moto que KIRANDARANDA avait laissée chez un mécanicien.
  • Aussitôt après l’enlèvement, l’alerte a été lancée via les réseaux sociaux (WhatsApp, Facebook et Twitter) par des proches de la victime, des défenseurs des droits de l’homme notamment le président du FOCODE[9] et des media[10]. Le véhicule qui emmenait Isaïe BATUMUNWA est passé par le centre communal de Rugombo pour emprunter la route Rugombo-Bujumbura. Des témoins à Buganda affirment l’avoir vu jusqu’à Kagwema où il aurait bifurqué vers Gihungwe en commune Gihanga de la province Bubanza. Ce fut la dernière trace du véhicule selon les témoins.

D.3. Efforts consentis par la famille de la victime et les amis en vue de retrouver Isaïe BATUMUNWA.

  • Le modus operandi utilisé pour enlever Isaïe BATUMUNWA alias KIRANDARANDA témoigne de la haine que les commanditaires et exécutants de ce crime avaient pour ce mobilisateur politique très influent du CNL. En effet, depuis 2018, le kidnapping des citoyens burundais opposants au régime du président NKURUNZIZA ou soupçonnés de l’être se fait d’une manière subtilement pensée quitte à ne pas laisser des traces pouvant renseigner sur le sort de la victime. Il est de plus en plus rare qu’en 2019 des hommes en uniforme de l’armée et à visage découvert embarquent un citoyen au vu des passants et amis, signe que la mission d’enlèvement de KIRANDARANDA devait être accompli quel qu’en soit le prix.
  • Quoique la victime n’ait pas encore été retrouvée, l’alerte lancée a encore une fois démontré l’importance des réseaux sociaux et l’obstination des citoyens à se secourir mutuellement, malgré leur impuissance devant la machine répressive de l’Etat. Ils ont pu en effet poursuivre le véhicule sur un trajet de plus de 100 km en relayant l’information de commune en commune jusqu’à Bubanza. D’autres ont attendu en vain le véhicule à l’entrée de la ville de Bujumbura dans l’intention d’être témoins de la destination finale du véhicule.
  • Si des témoins affirment que le véhicule ne serait  pas arrivé dans la ville de Bujumbura ce jour-là, des sources du FOCODE rapportent deux versions différentes sur le probable lieu de détention de KIRANDARANDA. Pour la première version, il aurait été vu au quartier général du SNR à Rohero (non loin de la Cathédrale de Bujumbura) dans un état quasi comateux suite à des traitements inhumains qu’il aurait subis dont des coups de couteaux. La deuxième source dit qu’il aurait été secrètement détenu dans une maison se trouvant au quartier Carama (nord de la ville de Bujumbura) qui appartiendrait à un militaire connu sous le sobriquet d’ECONET et qui travaillerait à l’écolage militaire. Le FOCODE n’est pas en mesure de confirmer ces informations.
  • La famille a demandé à Madame Jovith BAYAVUGE, administrateur de la commune Mugina, d’user de son influence pour aider à retrouver Isaïe BATUMUNWA ; cette dernière leur aurait rassuré la famille à deux reprises, les 3 et 9 juillet, que KIRANDARANDA était emprisonné dans les cachots du SNR à Bujumbura sans en dire plus.
  • Le procureur de la République à Cibitoke a également été saisi par des membres du parti CNL et un des membres de la famille de la victime. Selon le journal SOS Médias Burundi, le procureur a confié qu’il allait se renseigner auprès des services secrets burundais à Bujumbura.

L’un des membres de la famille et les responsables du CNL ont vite alerté Jean Marie Bizindavyi, procureur de la République à Cibitoke pour l’informer de cet enlèvement. «Je ne suis pas au courant de cet enlèvement », leur a-t-il répondu, avant de préciser qu’il va essayer de s’enquérir de ce cas auprès du responsable du SNR de Bujumbura[11].

D.4. Les présumés auteurs de l’enlèvement et de la disparition forcée de Isaïe BATUMUNWA alias KIRANDARANDA.

  • Le nom de Boniface YARANYUMVIYE est particulièrement cité par les témoins comme instigateur de l’enlèvement de KIRANDARANDA. C’est lui en effet qui aurait été chargé de suivre les déplacements d’Isaïe BATUMUNWA afin de renseigner ceux qui l’ont enlevé. C’est un démobilisé du CNDD-FDD très connu à Nyeshenza. Dans son rapport No189 du 27 Juillet 2019, SOS-TORTURE/BURUNDI évoque aussi le nom de ce démobilisé du CNDD-FDD :

Sos-Torture/Burundi note un enlèvement commis par des agents du SNR devant plusieurs témoins. Des témoins rapportent que M. Batumunwa a été désigné du doigt par un membre de la milice imbonerakure nommé Boniface Baranyumviye (surnommé Muhumure) qui orientait les agents du SNR. Il y a crainte pour la sécurité de M. Batumunwa depuis cet enlèvement[12]

  • Des sources internes à l’armée burundaise ont révélé au FOCODE les identités des trois militaires qui auraient enlevé KIRANDARANDA ainsi que le véhicule utilisé. Selon ces sources, les trois hommes seraient tous des militaires travaillant à l’Etat-major général de la Forces de Défense Nationale du Burundi (FDNB). Il s’agirait du Caporal-chef Venant NTAHORUTABA qui serait le chauffeur du chef de la FDNB, le Lieutenant-Général Prime NIYONGABO et qui aurait conduit le véhicule utilisé dans l’enlèvement ; d’un militaire du nom de SIBOMANA qui serait l’agent de transmission (AT) du chef de la FDN et d’un sous-officier du nom de NDIKURIYO. Le véhicule utilisé appartiendrait à un certain Docteur Jonas qui fut directeur de l’hôpital de Kirundo au nord du Burundi. Toutefois, le FOCODE n’est pas à mesure de confirmer ces informations.

E. Disparition forcée de Monsieur Jean-Marie NDIHOKUBWAYO, le milicien Imbonerakure qui « en avait marre des crimes ».

E.1. Identification de la victime

  • Fils d’Evariste NTIBARIZI et de Kesia HAKIZIMANA, Jean-Marie NDIHOKUBWAYO est né en 1985 à Kagwema, zone et commune Gihanga en province Bubanza. Marié, il est père de trois enfants, deux fillettes et un garçon. Au moment de sa disparition forcée, Jean-Marie résidait à la 2ème transversale, tout près de la route Bujumbura-Rugombo.
  • Située dans la région naturelle de l’Imbo et dans la plaine de la Rusizi, la commune de Gihanga est connue comme une zone rizicole par excellence. Ainsi, la profession de Jean-Marie NDIHOKUBWAYO était de cultiver du riz et des aubergines. Il est décrit par ses voisins comme un homme sage, vivant en parfaite harmonie avec les autres. Sa disparition a produit une onde de choc dans le village de Kagwema, particulièrement pour la famille et tous ceux qui connaissaient Jean-Marie.  
  • Selon des témoignages recueillis par le FOCODE à Kagwema, Jean-Marie NDIHOKUBWAYO fut membre de la milice Imbonerakure du CNDD-FDD et collaborateur du service national de renseignement à titre d’informateur. Il aurait constaté qu’il ne gagnait pratiquement rien de son appartenance à la milice Imbonerakure et de sa fonction d’informateur  du SNR et aurait décidé de mettre de côté les deux casquettes afin de se consacrer à son métier de cultivateur. Sa disparition forcée serait intervenue cinq mois seulement après son départ du parti CNDD-FDD. Nos sources sont formelles : Jean-Marie NDIHOKUBWAYO n’avait adhéré à aucun autre parti politique après avoir quitté le CNDD-FDD.

E.2. Circonstances de l’enlèvement et de la disparition forcée de Jean-Marie NDIHOKUBWAYO.

  • Dans la matinée du 05 Mai 2019, Jean-Marie était chez-lui. Il reçut une visite impromptue de trois jeunes hommes, tous connus comme membres de la milice Imbonerakure, habitant le village de paix de Kagwema I. Le FOCODE a pu se procurer de leurs prénoms seulement : il s’agit d’Emmanuel, Eric et Issa. Jean-Marie NDIHOKUBWAYO les connaissait très bien pour deux raisons évidentes : premièrement ce sont des anciens collègues au sein de la milice Imbonerakure et ils seraient tous des informateurs du SNR ; deuxièmement, selon le témoignage recueilli sur place, les trois miliciens étaient souvent employés par Jean-Marie NDIHOKUBWAYO dans ses champs de riz comme travailleurs saisonniers au moment du sarclage et de la récolte. C’était donc des « amis » à lui, de telle sorte qu’il ne pouvait pas s’inquiéter de leur visite.
  • Les trois visiteurs auraient demandé à Jean-Marie : « Ko utakiboneka ? » (Pourquoi n’es-tu plus visible ?) ; il leur aurait répondu qu’il n’était allé nulle part, qu’il était toujours là. C’est alors qu’ils auraient dévoilé l’objet de la visite : « Il y a une personne qui voudrait te rencontrer, voici un téléphone sur lequel on va t’appeler, fais tout pour rester joignable ». Sur ces mots, ils lui auraient laissé un appareil téléphonique avant de partir.
  • Aux environs de midi, Jean-Marie NDIHOKUBWAYO a reçu un appel téléphonique, c’était le moment d’aller au rendez-vous. Pour ne pas prendre du retard, ils lui ont demandé d’utiliser un taxi-vélo qu’ils allaient payer eux-mêmes. Ainsi, Jean-Marie est allé rencontrer cette « personne » à l’endroit appelé « Ku Mugirigiri », c’est dans le village de paix de Kagwema II. Arrivé là-bas, il aurait trouvé les trois miliciens Emmanuel, Eric et Issa qui l’attendaient, ils auraient payé le transporteur et ce dernier s’en est allé, laissant Jean-Marie avec ses hôtes. Ils seraient restés ensemble jusqu’à 15 heures, heure à laquelle serait venue une voiture TOYOTA de type TI ; ils se seraient tous dirigés vers la voiture et les trois miliciens auraient forcé Jean-Marie NDIHOKUBWAYO à entrer dans ladite voiture. Jean-Marie aurait essayé de résister mais sans succès. La voiture serait aussitôt partie et les trois miliciens seraient restés au village à intimider les gens qui venaient d’assister à l’enlèvement afin qu’ils ne disent rien.   

E.3. Efforts de la famille et des proches pour retrouver la victime.

  • Quand il a appris l’enlèvement de son fils, le père de Jean-Marie NDIHOKUBWAYO est allé porter plainte contre Emmanuel, Eric et Issa auprès de l’Officier de la Police Judiciaire (OPJ) de la commune Gihanga travaillant au bureau No 7 du bâtiment abritant les services de l’administration communale. D’après une source proche de la famille, l’OPJ a appréhendé les présumés auteurs et a convoqué le père de la victime à se présenter à son bureau à 16 heures le même jour pour instruction de l’affaire.
  • Evariste NTIBARIZI y serait allé avec des témoins. Après l’audience, il est rentré avec ses témoins et, en cours de route, grande a été leur surprise quand ils ont vu derrière eux les trois miliciens, présumés auteurs de la disparition de son fils. Ils venaient d’être libérés par l’OPJ à son insu et sans aucune explication. Le père de Jean-Marie NDIHOKUBWAYO et ses témoins auraient alors décidé de prendre un bus afin d’échapper à ces miliciens imbonerakure qui les poursuivaient, étant donné qu’ils marchaient le long de la plantation de canne à sucre, un endroit réputé dangereux.
  • Malgré les menaces et les intimidations à son encontre, le père de la victime n’a pas cédé. Selon toujours notre source proche de la famille, Evariste NTIBARIZI est allé porter plainte au parquet de Bubanza. Le procureur a délivré un mandat d’arrêt contre Emmanuel, Eric et Issa. Quand elle a reçu ce mandat d’arrêt du procureur, la police de Gihanga a pu arrêter un des trois miliciens tandis que les deux autres auraient fui à Muzinda, dans la commune voisine de Rugazi. Déterminé à connaitre la vérité sur la disparition de son fils et à obtenir justice, Evariste NTIBARIZI, malgré son âge avancé, est allé lui-même poursuivre les fugitifs à Muzinda. Là-bas, il a pu obtenir l’arrestation d’Eric qui fut remis à la police de Musenyi en commune Mpanda. Malheureusement il n’a pas passé une seule nuit dans le cachot de la police à Musenyi parce que vers 20 heures du soir, un officier supérieur de l’armée burundaise qui, selon des proches de la victime, serait le commandant du Camp militaire de Muzinda, serait venu le libérer. Ledit officier supérieur aurait alors envoyé un message au père de la victime que s’il voulait accuser les présumés auteurs de la disparition de son fils, qu’il devait aller les trouver à Muzinda. Dans la foulée, même celui qui était emprisonné à Gihanga était libéré. La succession de ces événements vint à bout de la détermination d’Evariste NTIBARIZI qui décida d’abandonner l’affaire afin de ne pas risquer sa propre vie. Sûrement qu’il y avait une main puissante derrière. Il est en effet incompréhensible qu’un officier de l’armée défie le procureur de la République en bloquant la mise en exécution d’un mandat d’arrêt dûment délivré par le parquet.
  • Le comble de l’absurdité a été atteint lorsque les personnes qui avaient soutenu le père de Jean-Marie NDIHOKUBWAYO dans les démarches visant à obtenir justice ont été arrêtées et détenues à Gihanga sur plainte des trois miliciens imbonerakure présumés auteurs de la disparition de Jean-Marie NDIHOKUBWAYO. Ils ont été libérés après l’intervention du père de la victime qui est allé dénoncer ce harcèlement car il était clair qu’il s’agissait d’une opération d’intimidation afin d’étouffer l’affaire.

E.3. Les présumés auteurs de la disparition de Jean-Marie NDIHOKUBWAYO.

  • D’après les enquêtes du FOCODE, Jean-Marie NDIHOKUBWAYO a été enlevé alors qu’il était en compagnie de trois miliciens imbonerakure, connus aussi comme des informateurs du SNR, à savoir : les prénommés Emmanuel, Eric et Issa. Des témoins qui ont assisté impuissamment à l’enlèvement ont raconté comment Jean-Marie a été embarqué violemment dans la voiture de TOYOTA TI et comment les trois miliciens leurs ont proféré des menaces afin qu’ils ne racontent à personne ce qu’ils ont vu. Les trois miliciens ont joué le rôle de piéger et de livrer Jean-Marie NDIHOKUBWAYO à des personnes qui l’ont conduit vers une destination jusqu’ici inconnue.
  • L’OPJ prénommé Dismas qui avait la charge d’instruire le dossier mais qui a préféré relâcher les présumés auteurs sans donner aucune explication à la famille et sans prendre aucune mesure visant à assurer la protection de la famille de la victime.
  • Il y a aussi cet officier supérieur de l’armée burundaise qui, selon les proches de la victime, serait le commandant du camp Muzinda, qui se serait permis de libérer du cachot le milicien Eric tout en invitant le père de la victime à se rendre à Muzinda pour qu’ils puissent discuter de l’affaire. Le FOCODE n’a pas pu connaitre le nom de cet officier de l’armée pour confirmer si c’est bien le commandant du camp militaire de Muzinda.

N.B. : Le FOCODE avise ceux qui voudront utiliser d’une manière ou d’une autre les données de cette enquête qu’une partie d’informations a été gardée confidentielle afin de tenter de protéger les sources ou de préserver l’intégrité des différentes preuves qui pourront être utiles aux instances judiciaires ou autres qui pourront traiter le dossier. Ces informations pourront être livrées, sur requête, à tout organe d’enquête jugé indépendant ou toute autre source jugée appropriée à recevoir de telles informations.                               

F. Prise de position du FOCODE et recommandations.

  1. Le FOCODE condamne la disparition forcée de MM. Olivier NDAYISHIMIYE, Dieudonné NDUWAYEZU et Térence MANIRAMBONA, militants du parti CNL, introuvables depuis leur enlèvement à Gitega par des agents du Service national de renseignement (SNR) le 18 mars 2019 et leur détention secrète dans une maison qui appartiendrait à M. Jovin CISHAHAYO, alors chef provincial du SNR à Gitega ;
  2. Le FOCODE condamne l’arrestation sous forme d’enlèvement de Monsieur Emmanuel NDAYISHIMIYE le 19 mars 2019 par des agents du SNR à Gitega, sa double détention secrète, les actes de torture et de traitements inhumains qu’il a subis au cours de sa détention ainsi que l’absence d’une enquête officielle sur son calvaire même après ses déclarations rapportées par le journal IWACU ;
  3. Le FOCODE condamne la disparition forcée de Monsieur Vital Nyandwi, militant du parti CNL, introuvable depuis son arrestation à Gisuru par le Commissaire provincial de la police de Ruyigi, Olivier NIBIGIRA, le 15 mars 2019 ;
  4. Le FOCODE condamne la disparition forcée de Monsieur Silvère BARIBONEKEZA, responsable du parti CNL dans la zone Bukoro (commune Nyarusange), introuvable depuis son enlèvement par des miliciens Imbonerakure le 20 mars 2019 ;
  5. Le FOCODE condamne la disparition forcée de Monsieur Isaïe BATUMUNWA alias KIRANDARANDA, mobilisateur politique du parti CNL, introuvable depuis son enlèvement par des éléments identifiables de l’armée burundaise le 22  juillet 2019 à Nyeshenza (commune Mugina) ;
  6. Le FOCODE condamne la disparition forcée de Monsieur Jean-Marie NDIHOKUBWAYO, ancien milicien Imbonerakure et ancien informateur du SNR, enlevé par des miliciens Imbonerakure le 05 mai 2019 à Kagwema (commune Gihanga) ;
  7. Le FOCODE condamne le silence persistant des autorités burundaises et l’indifférence totale de la police et de la justice burundaises sur des cas de disparitions forcées et d’autres crimes graves, même quand les auteurs sont clairement identifiés comme des agents de l’Etat;
  8. Le FOCODE condamne la persistance des lieux secrets de détention, notamment dans des maisons privées, une pratique illégale qui facilite les disparitions forcées ;
  9. Le FOCODE demande une enquête indépendante sur tous les cas de disparitions forcées et d’autres crimes soulevés dans cette déclaration et sur les rôles joués par les agents de l’Etat et les différentes personnes citées dans ces disparitions forcées ;
  10. Le FOCODE demande le renouvellement du mandat de la Commission d’enquête sur le Burundi, COIBurundi, à la prochaine session du Conseil des droits de l’homme à Genève ;
  11. Le FOCODE réitère sa demande à la Cour Pénale Internationale d’enquêter profondément sur le  phénomène des disparitions forcées devenu récurrent au Burundi et l’engagement des poursuites contre leurs auteurs présumés ;
  12. Le FOCODE appelle les partenaires du Burundi à hausser le ton sur ce regain de violences contre l’opposition politique au Burundi à la veille du processus électoral de 2020.  

[1] Selon une source à Gitega, la voiture appartiendrait à Jovin CISHAHAYO, alors chef du SNR à Gitega

[2] https://www.iwacu-burundi.org/gitega-des-arrestations-aux-disparitions/?

[3] Journal Iwacu: Op. cit.

[4] Fanta est une marque de boissons non alcoolisées très commercialisées partout au Burundi par une brasserie

[5] Amstel est une marque d’une bière fabriquée au Burundi

[6] Le FOCODE a cherché à savoir le pourquoi de la présence d’un commandant militaire d’une autre province dans cette réunion, une source dans l’armée nous a dit que dans la région du Kumoso, il y a des positions tenues par des militaires du camp de Mutukura. Donc, lorsqu’il y a une réunion de sécurité dans la province de Ruyigi, le commandant du camp de Mutukura est souvent invité.

[7] Une colline frontalière de Bikingi

[8] https://www.sosmediasburundi.org/2019/07/22/burundi-mugina-cibitoke-un-mobilisateur-du-parti-cnl-enleve-par-le-snr/

[9]https://m.facebook.com/PacifiqueNininahazwe/photos/a.589657174445265/2296746593736306/?type=3&source=57&refid=52&__tn__=EH-R

[10] https://pt-br.facebook.com/sosmediasburundi/posts/2474140719314619

[11] https://www.sosmediasburundi.org/2019/07/22/burundi-mugina-cibitoke-un-mobilisateur-du-parti-cnl-enleve-par-le-snr/

[12] http://sostortureburundi.over-blog.com/2019/07/rapport-n-189-de-sos-torture/burundi-publie-le-27-juillet-2019.html


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