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Disparition forcée de Messieurs Dominique Nduwimana, Eric Ntunzwenimana, Gaspard Havyarimana, Lévis Ndayisaba, Thierry Ndihokubwayo et Désiré Maniragaba. Exécution extra-judiciaire de Ferdinand Nyandwi (Kambayingwe).

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« Les autorités burundaises doivent faire la lumière sur la disparition forcée de Messieurs Dominique NDUWIMANA et Éric NTUNZWENIMANA arrêtés en septembre 2021 respectivement à Karusi et Kayanza ; de Messieurs Gaspard HAVYARIMANA, Lévis NDAYISABA, Thierry NDIHOKUBWAYO et Désiré MANIRAGABA enlevés à Kayanza le 23 octobre 2021 ; ainsi que l’exécution extra-judiciaire de Monsieur Ferdinand Nyandwi après son arrestation à Kirundo le 26 novembre 2022 ».

Dans le cadre de sa « Campagne NDONDEZA contre les disparitions forcées au Burundi », le FOCODE a recueilli des informations et des témoignages sur six cas de disparitions forcées consécutifs à des arrestations et des enlèvements opérés en septembre et en octobre 2021 dans les provinces de Karusi et Kayanza, ainsi qu’un cas d’exécution extra-judiciaire enregistré à Kirundo le 26 novembre 2022. Les sept victimes – Dominique NDUWIMANA, Éric NTUNZWENIMANA, Gaspard HAVYARIMANA, Lévis NDAYISABA, Thierry NDIHOKUBWAYO, Désiré MANIRAGABA et Ferdinand NYANDWI alias KAMBAYINGWE – étaient non seulement des militants et sympathisant du parti politique de l’opposition « Congrès National pour la Liberté » (CNL en sigle) mais aussi participaient à la création d’un autre mouvement politique en clandestinité. Les corps impliqués dans ces violations seraient le renseignement militaire (5 cas de disparitions forcées à Kayanza), le Service National de Renseignement (1 cas de disparition forcée à Karusi), la Police Nationale du Burundi et la milice Imbonerakure (1 cas d’exécution extra-judiciaire à Kirundo).

Ce dossier de la Campagne NDONDEZA revêt un caractère d’autant plus particulier que plusieurs corps de l’Etat et du parti CNDD-FDD sont associés à une série de violations liées, étalées sur des périodes différentes et commises dans trois provinces différentes du pays. Le trait d’union entre ces violations réside dans la répression violente d’un groupe politique d’opposition encore en gestation. La Campagne NDONDEZA a en effet pu communiquer avec le responsable de ce mouvement, un expatrié burundais, qui était en contact régulier avec chacune des victimes.

La première victime a été Monsieur Dominique NDUWIMANA, pasteur protestant et employé de la Régie Nationale des Postes résidant à Kirundo, arrêté par des agents du Service National de Renseignement, le 23 septembre 2021, au chef-lieu de la province Karusi où il se rendait pour une réunion avec des membres d’un mouvement politique clandestin. Deux jours plus tard, Éric NTUNZWENIMANA, responsable de la jeunesse du parti CNL dans la commune Gatara, a été arrêté par des policiers au chef-lieu de la province Kayanza avant d’être remis au secrétaire provincial du parti CNDD-FDD[1], Ferdinand HABIMANA. Emmené à bord de la camionnette du parti, Éric NTUNZWENIMANA aurait été remis dans la soirée à des agents du renseignement militaire. Un mois plus tard, le 23 octobre 2021, quatre personnes ont été appréhendées au chef-lieu de la province Kayanza. Il s’agissait de Gaspard HAVYARIMANA, ami intime d’Éric NTUNZWENIMANA et ancien candidat du CNL aux communales de 2020, Lévis NDAYISABA, Thierry NDIHOKUBWAYO et Désiré MANIRAGABA. Les trois derniers, militants et sympathisants du parti CNL, avaient été libérés de prison trois mois plus tôt, bénéficiant des mesures de grâce présidentielle. Ils avaient passé la nuit précédente à Kirundo et venaient à la rencontre de Gaspard HAVYARIMANA à Kayanza. Arrêtés par des éléments du renseignement militaire, selon plusieurs sources, et embarqués dans une camionnette à destination de Bujumbura, tous les quatre hommes n’ont jamais été retrouvés. De même, Dominique NDUWIMANA et Éric NTUNZWENIMANA restent introuvables depuis leurs arrestations en septembre 2021.

Une année après ces événements de 2021, au moment où le renseignement militaire semblait avoir stoppé les enlèvements des civils, un homme rapatrié du Rwanda en 2021 et qui avait des liens avec les six victimes – Ferdinand NYANDWI alias KAMBAYINGWA – a été piégé et arrêté au chef-lieu de la province Kirundo le 26 novembre 2022. Horriblement torturée à quelques mètres du lieu de son arrestation, la victime a succombé et son corps a été jeté dans la forêt naturelle de Murehe en commune Busoni. Plusieurs témoins et l’épouse de la victime ont pu identifier le responsable provincial de la milice Imbonerakure, Abel AHISHAKIYE, le secrétaire provincial du parti CNDD-FDD ainsi que le commissaire provincial de la police parmi les bourreaux. Le 6 décembre 2022, l’épouse de la victime a témoigné devant le Premier Ministre Gervais Ndirakobuca en visite à Kirundo. Le Chef du gouvernement a promis une enquête et a confié le suivi du dossier au Gouverneur provincial de Kirundo. Deux mois et demi après la promesse de M. NDIRAKOBUCA, aucune avancée n’a été notée dans ce dossier.

Les autorités burundaises ne se sont jamais prononcées sur les six cas de disparitions forcées de septembre et octobre 2021. Le 30 août 2022, le FOCODE a écrit au Président Evariste NDAYISHIMIYE à l’occasion de la Journée internationale des victimes de disparitions forcées et lui a transmis une liste d’au moins 80 victimes de disparitions forcées sur les deux premières années de son régime (18 juin 2020 – 18 juin 2022), dont les six victimes évoquées dans la présente déclaration. Le Président n’a pas répondu à cette lettre. Un mois plus tôt, le Président NDAYISHIMIYE avait reconnu l’existence des enlèvements et des disparitions commis par des groupes comprenant des éléments des corps de sécurité mais sa promesse de les châtier n’a pas été concrétisée.

Cette déclaration du FOCODE présente l’identification des six victimes de disparitions forcées ainsi que celle de Ferdinand NYANDWI, détaille les circonstances de chacune de ces violations, évoque leurs auteurs présumés et appelle tous les acteurs à un engagement véritable et des actions concrètes contre les disparitions forcées et les autres violations graves des droits humains au Burundi.

A. Disparition forcée du Pasteur Dominique NDUWIMANA

A.1. Identification de la victime

Fils de Herman NGURINZIRA et de Véronique BANYANKIRUBUSA, Dominique NDUWIMANA est né le 1er janvier 1974 sur la colline Nyamabega, en commune Buhiga de la province Karusi, au centre du Burundi. Marié, Dominique est père de quatre enfants (âgés de 11 ans, 9 ans, 6 ans et 4 ans au moment de la disparition de leur père). Au moment de sa disparition forcée, Dominique NDUWIMANA résidait dans le quartier Runanira II au chef-lieu de la province Kirundo.

Au niveau professionnel, Dominique NDUWIMANA est un employé de la Régie Nationale des Postes (RNP) à Kirundo. La RNP est une entreprise de l’Etat du Burundi et, à ce titre, Dominique NDUWIMANA était considéré comme un fonctionnaire de l’Etat. Il avait travaillé pour la RNP depuis 20 ans.

Parallèlement à son emploi à la RNP, Dominique NDUWIMANA était un pasteur responsable de l’église « Assemblies of God » à Kirundo. Ainsi, il s’agissait d’un personnage assez connu à Kirundo.

Quoique les religieux ne soient pas généralement militants des partis politiques, des amis et des proches du Pasteur Dominique NDUWIMANA ont confirmé au FOCODE que Monsieur NDUWIMANA était très proche du parti CNL. « En fouillant dans ses affaires après la disparition, j’ai découvert une chemise du parti CNL. Je savais qu’il avait beaucoup d’amis dans le parti mais je ne savais pas qu’il en était membre », a confié au FOCODE un membre de sa famille restreinte. Un ami intime de Monsieur NDUWIMANA a été très clair : « il était dans notre parti mais il restait très discret parce qu’il était dirigeant d’une église ».

La famille de Dominique NDUWIMANA a beaucoup souffert de la crise politique consécutive à l’assassinat du Président Melchior NDADAYE en 1993[2]. Des parents et des membres de sa famille ont été massacrés, le reste de sa famille vit dans un camp de déplacés depuis cette époque. Monsieur NDUWIMANA avait un conflit foncier avec son oncle paternel. Au moment de la disparition forcée de Dominique NDUWIMANA, le dossier était encore pendant au Tribunal de résidence de Buhiga.

Dominique NDUWIMANA n’a pas participé aux manifestations de 2015 contre le troisième mandat du Président Pierre NKURUNZIZA. Mais, comme nombre de résidents du chef-lieu de Kirundo, il avait séjourné brièvement au Rwanda et était revenu avec sa famille. Evidemment, ceux qui ont eu à séjourner au Rwanda à cette époque sont surveillés comme des opposants et des ennemis du régime en place au Burundi.

A.2. Circonstances de la disparition forcée de Dominique NDUWIMANA

Très tôt le matin du 23 septembre 2021, Dominique NDUWIMANA a quitté Kirundo à destination de Karusi. Il n’aurait pas donné à sa famille l’objet de son voyage et se serait contenté de dire qu’il reviendrait dans la soirée. Dans la mi-journée, entre midi et une heure, Dominique NDUWIMANA a pu joindre son épouse via le téléphone d’un voisin. C’est alors qu’il a informé son épouse qu’il était à Karusi et qu’il allait revenir le lendemain. Ce fut son dernier appel téléphonique. Ces informations ont été confirmées au FOCODE par des amis et des proches de la victime.

Le FOCODE a enquêté sur l’objet de la visite de Dominique NDUWIMANA à Karusi. Un de ses amis à Karusi pensait qu’il était « venu pour le suivi de son dossier foncier pendant depuis 4 ans au tribunal de résidence de Buhiga ». Mais cela a été contredit par toutes les autres versions. Un ami intime de la victime a confié au FOCODE :

« Dominique était en contact avec un burundais résidant en Belgique qui avait un projet de création d’un mouvement politique. Il avait déjà reçu beaucoup d’argent pour recruter des membres du mouvement. Comme Dominique était membre du parti CNL, il comptait recruter parmi les militants de ce parti. A Karusi, il était en contact avec un militant du CNL connu sous le sobriquet de BAGAYE et il est parti à sa rencontre pour organiser le recrutement d’autres membres. Dominique était également en contact avec Gaspard HAVYARIMANA de Kayanza que vous avez déjà évoqué dans NDONDEZA[3] ».

Le FOCODE avait déjà le contact de Monsieur B., un citoyen burundais résidant en Belgique, qui avait fourni beaucoup d’informations dans l’enquête sur la disparition forcée de Gaspard HAVYARIMANA et ses compagnons d’infortune. Pour des raisons de confidentialité, cette personne sera appelée « Monsieur B. » tout au long de cette déclaration, B. étant l’initiale de son prénom. Monsieur B. a confirmé les propos de l’ami intime de Dominique NDUWIMANA et y a ajouté beaucoup d’autres informations :

« Dominique avait une mission de se rendre à Karusi pour des réunions avec nos membres. Il avait une personne de contact à Karusi, il est parti avec une autre personne de Kirundo et il devait rencontrer à Karusi un autre membre du mouvement venu de Mwaro. Je ne connais pas celui qui est parti de Kirundo avec Dominique, celui de Mwaro a complètement coupé le contact avec moi après la disparition de Dominique. Il se serait sauvé, aurait changé de carte Sim et ne m’a plus contacté ; c’était un ancien combattant des FNL. Dominique est parti avec près de deux millions de francs burundais pour la logistique ».

Selon le recoupement d’informations obtenues par le FOCODE, Dominique NDUWIMANA s’est rendu à Karusi à bord d’une voiture de transport en commun, de marque Toyota  Probox. La voiture n’a pas été identifiée de manière précise. La personne de Kirundo qui serait partie avec lui n’a pas non plus été identifiée. A son arrivée près de Karusi, Dominique NDUWIMANA était attendu par son contact connu sous le sobriquet de « BAGAYE ». Militant du parti CNL, BAGAYE est connu à Karusi comme un survivant des massacres de 1993, il réside avec sa famille au camp des déplacés de Buhiga. Certains des militants du CNL qui ont témoigné au FOCODE considèrent BAGAYE comme un indic du Service National de Renseignement (SNR). Le FOCODE n’a pas pu déterminer de manière précise à quel endroit Dominique NDUWIMANA a rencontré BAGAYE.

Dans la journée du 23 septembre 2021, Dominique NDUWIMANA, BAGAYE et une troisième personne non identifiée sont venus à la résidence de Landry MANARIYO, un des cadres du SNR en province Karusi. Selon des témoignages obtenus de certains résidents du chef-lieu de Karusi, Dominique venait de tomber dans un piège. Un des témoins oculaires de ces événements  a fourni le témoignage ci-après :

« Dominique est venu à la résidence de Landry sise au Quartier Kigwati avec Bagaye et un autre homme. Ils sont venus calmement, discutant comme des amis, et ils sont entrés chez Landry. Au même moment, Landry est venu du sens opposé, au volant de la camionnette du responsable provincial du SNR, les vitres noires de la camionnette bien fermées. Landry est resté dans la camionnette, près de l’entrée de sa résidence. Apercevant des policiers dans la parcelle, Dominique a rapidement senti le piège et s’est mis à courir, arpentant la clôture de la parcelle mitoyenne de celle de Landry. Il a sauté dans la parcelle des voisins, une employée de maison l’a vu et a crié au secours. Dominique a fui vers la parcelle suivante chez un certain Pascal MAKURUMENSHI. A part des enfants qui regardaient la télévision, il n’y avait pas de personnes adultes dans cette parcelle. Dominique a pu entrer discrètement dans une chambre de la maison, a troqué sa chemise contre une autre trouvée dans la chambre, s’est drapée dans des pagnes trouvés dans la chambre et s’est caché sous le lit. Il se croyait hors de danger, mais c’était sans compter sur la ténacité de ses poursuivants.  Des voisins qui l’ont vu sauter les clôtures et entrer dans la parcelle ont crié au secours, des policiers sont venus perquisitionner la maison, Dominique a été ainsi débusqué. Ils l’ont fait sortir dehors, le visage et la tête couverts d’un pagne pour qu’il ne soit pas reconnu par les habitants de Karusi. Il était bien habillé, comme un fonctionnaire. Une longue séance de passage à tabac a suivi, on le frappait partout, sur la tête, sur le dos, dans les reins, etc. Nous avons eu peur qu’il allait mourir sur place. Les policiers nous ont dit qu’il s’agissait d’un criminel qui projetait de lancer des grenades à Karusi. C’était une période où l’on parlait beaucoup des jets de granades à Bujumbura, la population a cru aux paroles des policiers. Ceux qui le tapaient criaient : qui vous a menti que c’est ainsi qu’on prend le pouvoir ? (Ni nde yabahenze ngo uku niko bafata ubutegetsi). Dominique avait beaucoup d’argent sur lui, beaucoup de billets de banque dans ses poches et dans ses chaussettes, mais tout son argent a été pris par des agents du SNR. Sentant sa mort prochaine, sous les coups, Dominique a lancé : pardonne-moi Jésus, je meurs injustement (Ewe Yesu ndazize ubusa). Entretemps, le responsable adjoint du SNR connu sous le sobriquet de NONO est venu sur les lieux. Landry MANARIYO est venu aussi mais il est resté dans la camionnette. Dominique a été embarqué dans la camionnette du SNR et a été conduit au bureau provincial du SNR. Ce fut sa dernière trace. Jusque-là on ne connaissait pas son identité, c’est seulement quand son épouse est venue à Karusi à sa recherche que nous avons su que la personne qu’on torturait c’était Dominique. C’est vraiment triste. S’agissant de BAGAYE et de l’autre personne qui était restée à la résidence de Landry, ils ont été ligotés et battus. Un policier est sorti à l’entrée de la parcelle, il y avait une sorte de kiosque que l’épouse de Landry n’utilisait plus, ils y ont ramené un sac contenant des fusils dont le nombre n’a pas été précisé. Les policiers nous ont raconté que ces personnes étaient venues pour tuer Landry, mais tout sentait un coup monté. BAGAYE et l’autre personne ont été conduits au bureau provincial du SNR. A notre grande surprise, BAGAYE a été libéré dans très peu de jours, ce qui était étonnant au regard de la gravité des faits qui lui étaient reprochés : avoir voulu attenter à la vie d’un cadre du SNR. Nous ne savons pas quel a été le sort de Dominique et de l’autre personne. Tous ces événements se sont déroulés entre 12 heures 30 et 13 heures 30 puisque nous rentrions des bureaux pour la pause de midi. Nous avons enfin appris que dans sa fuite, Dominique NDUWIMANA avait pu détruire sa carte Sim et jeter son téléphone. Des agents du SNR sont revenus rechercher ce téléphone, mais sans succès.»

Les propos de ce témoin ont été corroborés par deux autres témoignages. La libération de BAGAYE a été également confirmée par toutes les sources du FOCODE à Karusi. A ceux qui lui ont demandé où se trouvait Dominique NDUWIMANA, BAGAYE aurait répondu qu’il n’en savait rien puisqu’ils auraient été détenus dans des cachots séparés. Le témoignage confirme l’existence d’une troisième personne qui jusqu’ici n’a pas été identifiée.

Le FOCODE n’a pas pu déterminer si Dominique NDUWIMANA est resté détenu à Karusi ou s’il a été transféré ailleurs, notamment au renseignement militaire. Mais il se trouve que les collègues de Dominique NDUWIMANA dans leur mouvement politique en gestation ont par la suite été appréhendés ou enlevés par le renseignement militaire. Il est fort possible que la recherche de ces collègues ait été faite à la suite des aveux extorqués de Dominique NDUWIMANA et que le renseignement militaire ait eu connaissance de ces aveux. Mais, à ce stade, ce n’est qu’une pure hypothèse.

Une source a indiqué au FOCODE que les fusils trouvés dans le kiosque chez Landry y avaient été placés le matin par l’agent du SNR surnommé « NONO » ; il n’a pas été possible de confirmer cette information. Si elle se confirmait, ce serait la preuve incontestable du piège tendu à Dominique NDUWIMANA et de la participation de BAGAYE à ce piège.

A.3. Recherches menées par la famille de Dominique NDUWIMANA

La famille de Dominique NDUWIMANA a mené des recherches à Karusi, sans succès. Une source familiale a témoigné :

« l’épouse de Dominique a appelé le numéro de son mari dans la journée du 24 septembre 2021 mais le téléphone est resté éteint. Sur Whatsapp, Dominique ne s’était plus connecté après l’appel de la veille autour de midi. L’épouse était très inquiète. Le soir, Dominique n’est pas rentré contrairement à ce qu’il avait promis, trois jours de plus ont passé sans aucun signe de vie. Le 29 septembre, l’épouse a reçu un message très alarmant : son mari aurait été tué à Karusi. Elle s’est rendue à Karusi dès le 1er octobre. C’est alors que les habitants du centre Karusi ont su l’identité de la personne arrêtée le 23 septembre 2021 et lui ont raconté le calvaire de Dominique. Elle s’est rendue au bureau du SNR, on lui a répondu que ce bureau n’emprisonne pas des gens, on lui fait visiter toutes les pièces pour qu’elle se rende compte que Dominique n’y était pas. Elle est rentrée désespérée. »

Très rapidement, un autre problème s’est posé dans la famille de Dominique NDUWIMANA : faire vivre la famille alors que l’épouse n’avait pas de ressources financières. L’épouse a cherché à avoir accès au compte bancaire de son mari, mais il lui fallait prouver la disparition forcée ou le décès de Dominique de NDUWIMANA. Elle a fait quelques démarches, puis elle a eu peur et elle a abandonné.

L’épouse de la victime a reçu des appels inconnus des personnes qui l’invitaient à des rencontres tard dans la soirée, d’autres disaient qu’elles connaissaient le lieu de détention de son mari en province Cibitoke. Tous ces appels n’ont fait que traumatiser l’épouse de Dominique NDUWIMANA qui a fini par quitter le Burundi et se réfugier à l’extérieur du Burundi.

A.4. Présumés auteurs de la disparition forcée de Dominique NDUWIMANA

Selon l’enquête menée par le FOCODE sur la disparition forcée de Dominique NDUWIMANA, il y a au moins quatre personnes qui devraient être interrogées sur cette disparition forcée :

  • Eliezer MANIRAMBONA, à l’époque responsable du SNR en province de Karusi. Toutes les sources à Karusi ont indiqué que la camionnette utilisée pour transporter Dominique NDUWIMANA était celle du responsable provincial du SNR. Dominique NDUWIMANA a été conduit au bureau du SNR après son arrestation. Comme responsable du bureau, Eliezer MANIRAMBONA devrait expliquer le sort réservé à ce détenu.
  • Landry MANARIYO, à l’époque responsable de la milice Imbonerakure au chef-lieu de Karusi, également responsable du SNR dans trois communes de Karusi (Buhiga, Shombo et Nyabikere), employé de l’Institut Géographique du Burundi (IGEBU). Le piège pour l’arrestation de Dominique NDUWIMANA s’est noué à la résidence de Landry MANARIYO à la 2ème avenue du quartier Kigwati, au chef-lieu de Karusi. Des témoins ont indiqué que Landry MANARIYO était présent sur tous les lieux du calvaire de Dominique NDUWIMANA et qu’il aurait conduit la camionnette du SNR qui a transporté Dominique NDUWIMANA vers le bureau provincial du SNR.
  • L’agent du SNR connu sous le sobriquet de « NONO », à l’époque responsable adjoint du SNR en province Karusi. Il aurait été présent au moment de l’arrestation de Dominique NDUWIMANA. Son vrai nom serait Amos NZISABIRA.
  • Une personne connue sous le sobriquet de « BAGAYE » : militant du parti CNL, résidant dans le site des déplacés de Buhiga, décrit comme un indic du SNR. Il aura joué un rôle clé dans le piège tendu à Dominique NDUWIMANA. Il était considéré comme le contact de Dominique à Karusi pour le recrutement de « militants » d’un mouvement politique en gestation. C’est lui qui l’aurait conduit à la résidence de Landry MANARIYO. Arrêté avec Dominique NDUWIMANA, BAGAYE a été rapidement libéré et n’encourt aucune poursuite judiciaire alors qu’il était accusé d’un crime très grave.

B. Disparition forcée de Monsieur Éric NTUNZWENIMANA

B.1. Identification de la victime

Fils d’Innocent NYANDWI et de Calinie NZOHABONA, Éric NTUNZWENIMANA est né en 1988 sur la colline Munini, zone Mbirizi, en commune Gatara de la province Kayanza, au nord du Burundi. Marié à Léa MPAWENIMANA, Éric est père de deux enfants. Il avait suivi une formation pédagogique et était détenteur d’un diplôme de D7 (8 ans après l’école primaire). Au moment de sa disparition forcée, il résidait sur la colline Musave, quartier Giporo au chef-lieu de la province Kayanza.

Ancien combattant des FNL[4], Éric NTUNZWENIMANA est resté fidèle à la branche d’Agathon RWASA. Au moment de sa disparition forcée, Monsieur NTUNZWENIMANA était le responsable de la jeunesse du parti CNL dans la commune Gatara.

B.2. Circonstances de la disparition forcée d’Éric NTUNZWENIMANA

Le soir du 24 septembre 2021, Éric NTUNZWENIMANA a reçu un appel téléphonique d’un « ami » résidant à Bujumbura, Marc NDUWIMANA. Marc lui annonça qu’il allait lui rendre visite le lendemain avec un ami originaire de Gitega. Le matin du 25 septembre, Marc a de nouveau appelé Éric pour confirmer qu’il venait de prendre son bus à destination de Kayanza. A midi, Éric a reçu, au parking de Kayanza, Marc et son ami venant de Gitega. Il croyait recevoir des amis et des compagnons de lutte, il ne savait pas qu’il s’agissait des informateurs du renseignement militaire.

Maric NDUWIMANA est un ancien combattant des FNL comme Éric NTUNZWENIMANA. Originaire de la colline Gisyo, zone Ngoro en commune Gatara, Marc NDUWIMANA est chargé depuis 2010 de la sécurité au sein du comité communal du parti FNL – Aile Agathon RWASA. Après l’agrément du parti CNL en 2019, Marc a gardé la même responsabilité au sein du comité communal du parti, en plus d’être responsable de la jeunesse du parti dans la zone Ngoro. Il était donc à la fois un collègue d’Éric NTUNZWENIMANA au comité communal et son subordonné dans la direction de la jeunesse du parti. Marc NDUWIMANA a payé cher son appartenance au parti d’Agathon RWASA. A la veille du référendum constitutionnel de 2018, l’activisme de Marc NDUWIMANA inquiétait le responsable communal du parti CNDD-FDD. Une affaire sordide a été montée pour faire arrêter Marc avant le vote. Marc a ainsi passé six mois en prison. A sa sortie de prison, il s’est installé en commune Rango où son épouse était gestionnaire d’un centre de santé. Mais quelques mois plus tard, son épouse a été limogée, elle aussi devenant victime de l’appartenance politique de son mari, selon plusieurs sources. Le couple a dû déménager vers Bujumbura. Est-ce dans ces difficultés que Marc NDUWIMANA aurait été recruté par les services de renseignement ?

Selon une source confidentielle, Marc NDUWIMANA et son « ami de Gitega » ont passé la nuit du 24 au 25 septembre 2021 dans un hôtel à Kamenge, au nord de la ville de Bujumbura. Ils devaient se rendre le lendemain à Kayanza à la rencontre d’Éric NTUNZWENIMANA. Ils avaient la missions de soutirer d’Éric le maximum d’informations possibles sur le mouvement clandestin auquel il appartenait. Dans cette mission de renseignement, ils auraient été mandatés par l’Adjudant-Major Onesphore NDAYISHIMIYE alias BRADDOCK, agent du renseignement militaire (G2), en collaboration avec Daniel BIGIRIMANA, chauffeur à la permanence nationale du parti CNDD-FDD. Avant de devenir des informateurs du G2 en 2021, Marc NDUWIMANA et son ami auraient travaillé pour le SNR.

Après leur arrivée au parking de Kayanza, Éric NTUNZWENIMANA a emmené ses visiteurs au bar de son ami Gaspard HAVYARIMANA[5], près de la COOPEC Kayanza. C’est Gaspard lui-même qui leur a servi de la bière selon un témoin oculaire. Éric et ses visiteurs ont passé près de deux heures dans ce bar, puis le trio est parti faire un tour de la ville de Kayanza. Ils ont notamment visité une colline où serait construit un village de maisons modernes appartenant à un homme d’affaires. Cela a notamment été le moment de discuter de la politique. Éric leur a parlé du mouvement politique en gestation et ils ont appelé ensemble Monsieur B., le leader du mouvement résidant en Belgique. Monsieur B. a confirmé au FOCODE que cet appel téléphonique a existé.

Au terme de cette promenade dans la ville, Éric NTUNZWENIMANA a raccompagné ses visiteurs au parking. Ils ont passé acheter quelques articles au marché de Kayanza avant de se rendre au bus. La suite a été racontée au FOCODE par une source très confidentielle :

« l’ami de Marc NDUWIMANA, qui était en réalité le chef de cette mission de renseignement à Kayanza, a feint de prendre le bus. Marc n’est pas monté dans le bus, il a dit qu’il avait encore besoin de rencontrer un certain Fabrice à Kayanza. Éric a pris congé des deux visiteurs et s’est dirigé vers le bar de son ami Gaspard. Très rapidement, Marc et son ami ont donné leur rapport à l’Adjudant-Major Onesphore NDAYISHIMIYE alias BRADDOCK qui les avait mandatés. C’est alors qu’il a été décidé d’arrêter sans délais Éric NTUNZWENIMANA. Braddock a ordonné aux deux agents la filature d’Éric NTUNZWENIMANA, le temps qu’il trouve des policiers pour l’arrêter. Un chauffeur de la permanence nationale du parti, Daniel BIGIRIMANA qui collaborait avec Braddock dans ce genre d’opérations du renseignement militaire, s’est chargé de contacter les responsables du parti. Pendant tout ce temps, Marc NDUWIMANA et son ami de Gitega étaient en train de filer Éric NTUNZWENIMANA à distance.»

Dans sa marche vers le bar de son ami, Éric NTUNZWENIMANA a été arrêté par des policiers qui gardent le camion anti-incendie à Kayanza. Aucun motif de l’arrestation ne lui a été fourni. Deux minutes plus tard, la camionnette blanche double cabine de marque Toyota Hilux (E0467A) du secrétaire provincial du parti CNDD-FDD serait arrivé sur les lieux, avec à son bord Ferdinand HABIMANA et sa garde de policiers. Éric NTUNZWENIMANA aurait été remis à Ferdinand HABIMANA qui l’aurait emmené à la permanence provinciale du parti. Tout se serait passé entre 16 heures et 17 heures. Mais qui a donné aux policiers l’ordre d’arrêter Éric NTUNZWENIMANA ? Est-ce Ferdinand HABIMANA ? Pourquoi des policiers ont remis un détenu à un responsable d’un parti politique ? Pourquoi ceux qui ont donné l’ordre d’arrêter Éric n’ont-ils pas passé par des organes de sécurité habilités, comme le commissariat provincial de la police ou le responsable provincial du SNR ? Toutes ces questions restent sans réponse.

Une alerte parvenue au FOCODE le 26 septembre 2021 disait :

« le nommé Éric NTUNZWENIMANA, un des responsables de la jeunesse du parti CNL en commune Gatara, a été enlevé hier et emmené à bard d’un véhicule immatriculé E0467A. c’est dans la ville de Kayanza. Il a été appréhendé dans la ville de Kayanza. (…) Éric est originaire de la colline Munini, zone Mbirizi. Dans un premier temps, il a été conduit à la permanence du CNDD-FDD ».

Après son arrestation, Éric NTUNZWENIMANA aurait été détenu à la permanence provinciale du CNDD-FDD. Il a pu utiliser son téléphone pour signaler à des responsables du parti CNL qu’il venait d’être arrêté par Ferdinand HABIMANA et qu’il était détenu à la permanence du CNDD-FDD. Plusieurs sources à Kayanza ont confirmé cette information, de même que celle de son transfert vers Bujumbura. La suite a de nouveau été raconté au FOCODE par une source très confidentielle :

« comme il se faisait tard, il a été demandé à Ferdinand HABIMANA de déplacer Éric NTUNZWENIMANA vers Bujumbura pour rencontrer, en cours de route, le véhicule du renseignement militaire qui venait le récupérer. Ainsi, peu après 17 heures, Ferdinand HABIMANA a quitté Kayanza et a emmené Éric NTUNZWENIMANA dans sa camionnette vers Bujumbura. En cours de route, Ferdinand a croisé l’équipe de Braddock qui venait prendre Éric. Ferdinand est retourné à Kayanza, Éric a été conduit au bureau du renseignement militaire à l’Etat-Major général de l’armée. La camionnette de Braddock est entrée par l’entrée du camp du Bataillon Police Militaire. Je ne sais pas ce qu’ils lui ont fait après l’interrogatoire au G2[6]. »

Un des responsables du CNL à Kayanza a témoigné :

« le jour de son arrestation, Éric NTUNZWENIMANA avait passé des heures avec deux amis venus de Bujumbura. Parmi ces deux amis, il y avait Marc NDUWIMANA que nous connaissons très bien dans notre parti. Marc est un ancien combattant des FNL, il a été responsable de la jeunesse du parti dans la zone Ngoro. Après 2010, il a été chargé de la sécurité dans le comité communal de Gatara. Lors du référendum de 2018, Marc a été emprisonné injustement à la suite d’un montage organisé par des responsables du CNDD-FDD. Plus tard, après sa libération, il s’est installé à Bujumbura. Nous avons reçu des informations qu’il était devenu un informateur du SNR, mais son ami Éric NTUNZWENIMANA continuait à le défendre. Éric pensait que les agents du SNR vivent dans la richesse et défendait son ami Marc compte tenu des conditions difficiles dans lesquelles il vivait à Bujumbura. C’est ainsi qu’Éric est à son tour devenu une victime de Marc. Nous ne savons pas de manière précise comment Éric a été arrêté, nous avons juste reçu son message pendant qu’on l’emmenait à la permanence provinciale du CNDD-FDD. Même à la permanence, il a pu écrire, mais après on a perdu son contact.»

A Kayanza, les responsables du parti CNL ont perdu toute trace d’Éric NTUNZWENIMANA après le départ de la camionnette de Ferdinand HABIMANA vers Bujumbura. La famille de la victime n’a reçu aucune information relative au lieu de sa détention et vit dans la peur depuis cette arrestation. Cette peur a été exacerbée un mois plus tard par l’enlèvement de Gaspard HAVYARIMANA, l’ami intime d’Éric NTUNZWENIMANA qui tenait un bar près de la COOPEC Kayanza.

C. Disparition forcée de Messieurs Gaspard HAVYARIMANA, Lévis NDAYISABA, Thierry NDIHOKUBWAYO et Désiré MANIRAGABA

C.1. Identification des victimes

Fils de Janvier Bizimana et de Cassilde NAHIMANA, Gaspard HAVYARIMANA est né en 1983 sur la colline Ngendo, en commune Gatara, province Kayanza, au nord du Burundi. Marié, Gaspard est père de deux enfants. Technicien vétérinaire, Gaspard HAVYARIMANA a terminé ses études à l’ITABU Kigozi et a pu s’occuper pendant quelques années du suivi vétérinaire de la ferme laitière de l’homme d’affaires NZORIGENDA, en commune Bukeye. A la fin de son contrat, Gaspard n’avait pas pu trouver un autre emploi et avait initié un bar tout près de la COOPEC Kayanza. A Kayanza, Gaspard est également connu comme un sportif membre du « Club ABANONONITSI ». Il résidait dans la ville de Kayanza au moment de sa disparition forcée.

Au niveau politique, Gaspard HAVYARIMANA est un militant du parti CNL. En 2020, il a été candidat aux élections communales pour le compte de son parti, mais sans succès. Gaspard HAVYARIMANA était également connu comme un ami et confident d’Éric NTUNZWENIMANA, autre militant du parti CNL victime de disparition forcée depuis le 25 septembre 2021.

Fils d’Anaclet NTAHOMVUKIYE et de Consolate Nzeyimana, Levis NDAYISABA (certains l’appellent NZOYISABA) est né en 1986 sur la colline Mujejuru de la zone Mugaruro, en commune Gishubi, province Gitega, au centre du pays. Levis est marié et père de trois enfants. Lévis NDAYISABA avait étudié jusqu’en 4ème année primaire et avait brièvement travaillé à Rumonge avant de s’engager comme combattant dans la rébellion du Palipehutu-FNL. Après son retour à la vie civile et à la suite de plusieurs menaces du SNR qui sollicitait sa collaboration avec les services secrets, Lévis NDAYISABA a quitté sa commune natale et s’est installé à Bujumbura où il a rejoint des proches qui commercialisaient des planches en bois (imbaho) au quartier Jabe.

Sur le plan politique, Lévis NDAYISABA est resté membre du parti FNL d’Agathon RWASA après sa démobilisation en 2009. Sollicité pour travailler avec le SNR dans la surveillance et la traque de ses anciens compagnons de lutte, Lévis aurait catégoriquement refusé cette offre, ce qui lui aurait valu beaucoup de menaces et plusieurs tentatives d’enlèvements entre 2010 et 2013. Des menaces auraient également ciblé son épouse. Finalement installé à Bujumbura, Lévis NDAYISABA  a été très actif dans les manifestations populaires contre le troisième mandat du Président NKURUNZIZA en 2015. A la suite de sa participation dans cette contestation, Lévis a été détenu à la Prison de Mpimba entre 2015 et 2018. Quelques mois après sa libération, il a été arrêté de nouveau à Kayanza avec un groupe d’autres militants du CNL, dont Désiré MANIRAGABA qu’il avait connu durant son séjour à Mpimba. En 2019, Lévis NDAYISABA a été condamné à 5 ans de prison par le Tribunal de Grande Instance de Kayanza, peine confirmée en 2020 par la Cour d’Appel de Ngozi (Dossier RPA 2266). En juillet 2021, Lévis NDAYISABA a bénéficié de la grâce présidentielle et a été libéré, trois mois seulement avant sa disparition forcée.

Fils de Janvier NDINDURUVUGO et de NIJIMBERE, Thierry NDIHOKUBWAYO (alias MITIMIRATUNGA) est né en 1983 sur la colline Buhinga, commune Musongati de la province Rutana, au Sud-Est du Burundi. Marié, Thierry est père de 3 enfants. Sa famille réside dans le quartier SOCARTIE, au nord de la ville de Bujumbura.

Thierry NDIHOKUBWAYO est un ancien militaire de l’armée burundaise (Matricule HR15889 / 61633). Il avait été incorporé dans les ex Forces Armées du Burundi (FAB) le 26 juin 2001. Arrêté à Mutakura dans la foulée de la crise consécutive au troisième mandat du Président NKURUNZIZA, Thierry NDIHOKUBWAYO a été renvoyé de l’armée burundaise le 10 février 2017 sous l’accusation de désertion. Il avait le grade de caporal au moment de son arrestation. A la prison de Mpimba où il a été détenu, Thierry a laissé de bonnes impressions : ses anciens codétenus le décrivent comme un homme généreux, très serviable et amoureux de la musique. Thierry NDIHOKUBWAYO a bénéficié de la grâce présidentielle et a été libéré en juillet 2021. Durant son séjour à la Prison de Mpimba, il s’était lié d’amitié et avait gardé le contact avec deux autres prisonniers évoqués dans cette déclaration : Lévis NDAYISABA et Désiré MANIRAGABA.

Né d’un père prénommé « Marino » (décédé) et de Sylvie CIZA, Désiré MANIRAGABA alias Parfait est né en 1994 à Bumba sur la colline Kavumu de la zone Rukeco, en commune Busiga, province Ngozi, au Nord du Burundi. Orphelin de père, incapable de trouver les frais scolaires, Désiré MANIRAGABA a dû abandonner ses études en 7ème année (juste la 1ère année de l’école secondaire) au Collège communal de Mukoni. En 2011, il s’est installé à Bujumbura où il s’occupait de toutes sortes de travaux manuels. Célibataire, Désiré MANIRAGABA n’a pas laissé d’enfant connu.

Sur le plan politique, Désiré MANIRAGABA est un militant du parti CNL. En 2015, il a été très actif dans les manifestations contre le troisième mandat du Président NKURUNZIZA. Selon ses proches, il a été arrêté, détenu au SNR et à la prison centrale de Mpimba. Libéré, il n’a pas eu beaucoup de chance puisqu’il s’est fait de nouveau arrêter en 2019 à Kayanza avec quatre autres militants du CNL dont Lévis NDAYISABA. A la prison de Ngozi où il a été détenu cette fois-ci, Désiré MANIRAGABA était très connu sous le pseudonyme de Parfait. Condamné à cinq ans de servitude pénale, il a bénéficié de la grâce présidentielle de 2021 et a été libéré en juillet de la même année.

Gaspard HAVYARIMANA, Lévis NDAYISABA, Thierry NDIHOKUBWAYO et Désiré MANIRAGABA participaient tous au projet d’un nouveau Mouvement politique d’opposition sous l’égide d’un leader résidant en Belgique, Monsieur B. Ce dernier a été le premier à alerter le FOCODE sur la disparition forcée de ces quatre membres de son mouvement en gestation. C’est lui également qui a permis d’établir le lien entre tous les six cas de disparition forcée, c’est-à-dire les quatre plus Dominique NDUWIMANA et Éric NTUNZWENIMANA.

C.2. Circonstances de la disparition forcée de Messieurs Gaspard HAVYARIMANA, Lévis NDAYISABA, Thierry NDIHOKUBWAYO et Désiré MANIRAGABA

Des quatre victimes enlevées à Kayanza le 23 octobre 2021, Gaspard HAVYARIMANA était la seule originaire de la province. C’est ce qui explique que son enlèvement ait fait l’objet de plus d’alerte et a été le plus détaillé que celui de ses trois compagnons d’infortune. Les trois autres victimes n’étant pas connues dans la province, leur enlèvement n’a pas suscité de l’inquiétude outre mesure. Sans les informations fournies par Monsieur B., il aurait difficile de bien établir le lien entre Gaspard HAVYARIMANA et les trois autres victimes enlevées à Kayanza le même jour. Cela est d’autant plus vrai que certains détails de leur enlèvement restent imprécis. 

Un proche de Gaspard HAVYARIMANA a confié au FOCODE le déroulement de la demi-journée du 23 octobre 2021 chez Gaspard HAVYARIMANA :

« comme tous les dimanches matin, Gaspard HAVYARIMANA devait participer aux activités du Club ABANONOTSI. Sa femme avait des responsabilités à l’Eglise. Gaspard est parti à 7 heures du matin en promettant de revenir à 9 heures pour s’occuper des enfants. Mais lorsque sa femme est revenue à la maison à 11 heures, Gaspard n’était pas encore rentré. Son épouse a remarqué que le smartphone de Gaspard se trouvait sur charge dans la chambre. Autour de midi, son mari est passé prendre le smartphone, mais n’a même pas salué sa femme qui se trouvait à la cuisine, il semblait très pressé et il est reparti précipitamment. Son épouse l’a appelé quand les enfants lui ont appris que le papa venait de passer. Gaspard a expliqué qu’il avait un rendez-vous urgent avec des personnes qui venaient de Kirundo et qu’il n’allait pas trainer. L’épouse a promis de l’attendre pour partager le repas de midi. Juste après, il y a eu une très forte pluie. Peu après 13 heures, quand la pluie commençait à diminuer, un homme est venu à la maison pour annoncer à l’épouse de Gaspard que des hommes en tenue civile, portant des pistolets, venaient d’enlever son mari tout près du bureau de la COOPEC et qu’ils l’ont emmené à bord d’une voiture Toyota TI blanche aux vitres teintées, immatriculée D4527A. L’épouse s’est empressée d’appeler Gaspard sur son téléphone, Gaspard a pu répondre mais l’épouse a entendu des voix qui lui demandaient : qui est-ce ? et Gaspard qui répondait : c’est Madame. Ce fut le dernier signe de vie de Gaspard HAVYARIMANA. Plus tard, jusque dans la soirée, le téléphonait sonnait mais personne ne répondait. »

Ce témoignage est complété par celui d’une autre personne qui ce matin-là était avec Gaspard HAVYARIMANA dans le Club ABANONOTSI :

« Gaspard a bien participé aux activités du club le 23 octobre 2021. Mais tout le temps il recevait des appels téléphoniques. Il nous semblait pressé, il nous a dit que c’était des amis qui venaient de Kirundo. Comme il avait sur lui un tout petit téléphone, ses interlocuteurs lui ont demandé d’aller consulter le message qu’ils lui avaient envoyé sur WhatsApp. C’est ainsi qu’il est retourné chez lui pour prendre son smartphone. Plus tard, nous avons appris qu’il venait d’être enlevé près de la COOPEC par des personnes portant des pistolets venus à bord d’une voiture Toyota TI aux vitres teintées ».

Ces deux témoignages, complétés par plusieurs autres presque similaires, font comprendre que Gaspard HAVYARIMANA a été piégé. A un certain moment, ses interlocuteurs n’étaient plus libres quand ils l’appelaient.

Le FOCODE a cherché à identifier qui étaient ces personnes qui venaient de Kirundo qui venaient rencontrer Gaspard HAVYARIMANA à Kayanza. Monsieur B. a répondu à cette question : « en réalité, Lévis NDAYISABA, Thierry NDIHOKUBWAYO et Désiré MANIRAGABA avaient passé la nuit à Kirundo et ils avaient prévu une rencontre avec Gaspard HAVYARIMANA à Kayanza. Depuis l’arrestation d’Éric NTUNZWENIMANA, Gaspard était notre point focal à Kayanza. Selon mes informations, Lévis NDAYISABA avait quitté Kirundo plus tôt dans la matinée. Les deux autres sont partis ensemble dans une voiture Toyota Probox. Je ne sais pas à quel moment ils auraient été interceptés par des agents des services de renseignement. Mais ce qui est sûr, notre mouvement avait été infiltré. Nous avons appris plus tard que, même là où ils ont passé la nuit à Kirundo, il y avait un agent du renseignement. »

Selon un autre témoignage reçu par le FOCODE, Gaspard HAVYARIMANA est venu dans son bar situé près de la COOPEC Kayanza, autour de midi. Comme il pleuvait, il s’est abrité dans le bar. Il a ensuite reçu un appel téléphonique et il est sorti pour se diriger vers une voiture Toyota TI blanche aux vitres teintées qui venaient d’arriver. Il semblait qu’il connaissait les personnes à l’intérieur de la voiture, mais les vitres noires ne permettaient pas de les identifier. Toutefois, les témoins ont remarqué deux hommes qui portaient des pistolets même s’ils étaient en tenue civile. C’est alors qu’ils ont réalisé que Gaspard venait de tomber dans un piège.

A la lumière de ces témoignages, il y a lieu de penser que Thierry NDIHOKUBWAYO et Désiré MANIRAGABA avaient déjà été appréhendés à ce moment et qu’ils auraient été forcés à appeler Gaspard HAVYARIMANA. Toute la question reste de savoir à quel endroit ils ont été pris. Selon le témoignage ci-après, il est possible que Lévis NDAYISABA ait été enlevé quelque temps après Gaspard HAVYARIMANA.

Un proche de Gaspard HAVYARIMANA a ajouté dans son témoignage :

« le même après-midi, il y a un homme inconnu qui est venu chez Gaspard. Il a demandé à son épouse où se trouvait Gaspard et quel était le numéro téléphonique qu’il était en train d’utiliser. Comme l’épouse venait d’apprendre l’enlèvement de son mari, elle ne pouvait que se méfier de toute demande d’informations venant d’un inconnu. Elle a juste répondu que son mari se trouvait en ville et elle a refusé de donner le numéro. Curieusement, cet inconnu, en quittant chez Gaspard, s’est fait arrêter à son tour par les hommes à bord de la même voiture qui avait enlevé Gaspard. Ils se sont croisés sur un terrain tout près d’un dépôt de la BRARUDI[7] à Kayanza. Nous avons alors remarqué que toutes les personnes arrêtées étaient conduites par la suite vers une camionnette blanche de marque DYNA stationnée devant le dépôt de la BRARUDI, sur la route vers la commune GAHOMBO. Gaspard et les autres personnes arrêtées ce dimanche-là ont été ligotés et jetés à l’arrière de cette camionnette. L’arrière était bien couvert et les portes avaient des cadenas. Les auteurs étaient en tenue civile et portaient des pistolets. Ils avaient un air très grave et ressemblaient à des militaires. Le camion s’est dirigé enfin vers Bujumbura.»

Les familles des trois autres victimes n’ont pas reçu beaucoup d’informations sur les circonstances de l’enlèvement des leurs. Toutes les familles ont appris que les leurs avaient été appréhendés à Kayanza avec d’autres personnes inconnues et que certaines de ces personnes auraient été tuées. Elles n’ont connu aucun autre détail de ces enlèvements avant les publications du FOCODE. Toutes ces familles vivent dans la peur et acceptent difficilement de se confier.

Un proche de Thierry NDIHOKUBWAYO a confié au FOCODE les informations reçues par sa famille :

« dès que Thierry a appris qu’il allait bénéficier de la grâce présidentielle, il a commencé à s’inquiéter de sa sécurité. Comme il avait été arrêté dans un groupe de militaires accusés de tenter de rejoindre une rébellion, il craignait que le pouvoir tente de l’éliminer dès sa sortie de prison. Après la libération, sa priorité était de trouver des documents de voyage, soit un passeport soit un laisser-passer. Dans les premiers jours, son père est tombé gravement malade, Thierry est monté à Rutana pour l’assister. A son retour à Bujumbura en octobre 2021, il a reçu un appel d’un ami qui lui demandait de se rendre à Kayanza pour un travail. Il a sollicité l’aide de ses proches pour payer le ticket, il est parti et il n’est jamais revenu. La famille a reçu des informations très vagues à propos de son arrestation avec d’autres personnes et que deux de leurs corps sans vie auraient été trouvés. Nous avons perdu tout espoir de revoir Thierry NDIHOKUBWAYO, nous pensons qu’il a été tué. La famille vit aujourd’hui dans la peur. »

Un proche de Lévis NDAYISABA a également partagé au FOCODE les informations reçues par sa famille :

« Après sa libération, Lévis était revenu travailler à Jabe dans la commercialisation des planches de bois. Il a par la suite trouvé un emploi à Kayanza. Nous avons appris plus tard qu’il avait été arrêté. Nous ne savons rien de ce qui lui est arrivé, nous n’avons aucune information sur le lieu de sa détention. Sa famille est complètement désespérée car il existe des rumeurs qu’il aurait été tué. Personne ne sait vraiment s’il est encore vivant ou s’il est mort. »

La famille de Désiré MANIRAGABA est dans le même désespoir : elle a appris son arrestation mais elle n’a aucun autre détail, ni sur les auteurs de l’arrestation ni sur le lieu de sa détention. Un ami intime de Désiré MANIRAGABA a confié au FOCODE :

« Désiré avait eu de la chance durant ses deux précédents séjours dans les cachots du SNR. Chaque fois, il avait été envoyé en prison alors que beaucoup d’autres avaient été tués. Au moment de la deuxième détention, des agents du SNR lui avaient dit : si on t’attrape la prochaine fois, on ne te laissera plus partir, ce sera ta fin. Il me l’avait raconté mais c’est un garçon très courageux qui n’arrêtera jamais de combattre l’injustice tant qu’il sera en vie. Il est possible que cette fois-ci ils l’ont tué. »

En conclusion, les circonstances de l’enlèvement de Gaspard HAVYARIMANA sont bien claires. Mais il reste beaucoup de zones d’ombre pour ses trois compagnons d’infortune : Lévis NDAYISABA, Thierry NDIHOKUBWAYO et Désiré MANIRAGABA. Le FOCODE a simplement pu établir le lien entre les quatre disparitions forcées grâce aux informations fournies par Monsieur B. Une source très confidentielle a également indiqué que l’opération de Kayanza émanait du renseignement militaire et qu’elle aurait été menée par l’équipe de l’Adjudant-Major Onesphore NDAYISHIMIYE alias BRADDOCK.

C.3. Efforts fournis pour retrouver les victimes

Les proches de Gaspard HAVYARIMANA ont été très actifs dans sa recherche. L’alerte de son enlèvement a été partagée sur les réseaux sociaux dans les heures qui l’ont suivi. Le journaliste Bob Rugurika, directeur de la RPA, et le Président du FOCODE ont relayé ces alertes sur Twitter et sur Facebook. La Radio Publique Africaine a évoqué cet enlèvement dans un article publié le 28 octobre 2021[8] :

Un membre du parti CNL en commune Gatara de la province Kayanza est porté disparu depuis cinq jours. Sa famille indique l’avoir cherché dans tous les cachots sans le trouver. De plus, elle a déjà rapporté cette disparition à l’administration et la police. Ce citoyen porté disparu et responsable du parti CNL répond au nom de Gaspard  Havyarimana. Il est natif de la colline Ngendo de la zone Nyabihogo en commune Gatara de la province de Kayanza. Notre source à Kayanza indique que Gaspard Havyarimana, vétérinaire du fermier Nzorijana, s’était rendu au chef –  lieu de Kayanza pour visiter sa famille qui y réside.Vendredi dernier vers 14 heures, Gaspard Havyarimana est allé chercher de l’argent à la Coopérative d’Epargne et de Crédit, COOPEC. Depuis lors, personne ne l’a plus revu, poursuit notre source. « Il a été arrêté par des gens armés de pistolet qui était à bord d’une voiture de marque Toyota, modèle Carina avec des vitres teintées. Ils l’ont arrêté en face de la Coopec ». Selon toujours notre source, la famille de Gaspard Havyarimana l’a cherché dans tous les cachots sans le trouver. Pour le moment, la famille demande aux autorités de communiquer le lieu de sa détention si pas de lui remettre le cadavre du sien. « Nous avons cherché partout dans les cachots mais sans succès. S’ils l’ont tué, qu’ils nous montrent le cadavre », a- t- elle ajouté. A ce propos, la rédaction a essayé de joindre l’administrateur de la commune Gatara ainsi que le commissaire de police à Kayanza pour avoir plus de détails mais en vain.

La famille de Gaspard HAVYARIMANA a saisi le Président de la Commission nationale indépendante des droits de l’homme (CNIDH), elle a eu un entretien téléphonique avec des employés de la Commission. Comme dans tous les autres cas de disparitions forcées impliquant le renseignement militaire, la CNIDH a promis de faire le suivi mais elle n’a plus communiqué avec la famille de la victime.

Un homme se faisant passer pour un défenseur des droits humains (DDH) dans les régions Nord du pays a contacté la famille de Gaspard HAVYARIMANA et lui a fait faussement croire que Gaspard était détenu par le SNR à Ngagara, Quartier 10. Le FOCODE a découvert que cet homme était lui-même détenu à la Prison de Ngozi quand il a donné ces fausses informations. Dans des enquêtes précédentes, le FOCODE avait appris des informations similaires sur ce pseudo DDH. Sur de fausses promesses de retrouver les leurs, cet homme a déjà extorqué des sommes d’argent importantes aux familles de l’OPC2 Cyprien NIHORIMBERE enlevé à Ngozi en décembre 2015, de Faustin GASHEMA, étudiant rwandais de l’Université de Ngozi enlevé en août 2017, de Jean-Claude NIMUBONA alias Mangema enlevé à Bujumbura le 17 mars 2020 ; une tentative similaire a échoué dans la famille de Pacifique BIRIKUMANA enlevé à Ngozi le 08 avril 2017.

Le FOCODE a organisé au moins six émissions NDONDEZA, a publié plusieurs tweets et posts sur Facebook, a même écrit au Président Evariste NDAYISHIMIYE en Aout 2022 en évoquant la disparition forcée de Gaspard HAVYARIMANA, Lévis NDAYISABA, Thierry NDIHOKUBWAYO, Désiré MANIRAGABA, Éric NTUNZWENIMANA et Dominique NDUWIMANA. Aucune autorité burundaise n’a répondu à toutes ces alertes et communications.

Tétanisées par la peur, les familles de Lévis NDAYISABA, Thierry NDIHOKUBWAYO et Désiré MANIRAGABA n’ont pas osé s’adresser aux autorités du pays.

D. Exécution extra-judiciaire de Ferdinand NYANDWI alias KAMBAYINGWE

D.1. Identification de la victime

Fils d’Antoine MASHIRINGI, Ferdinand NYANDWI alias KAMBAYINGWE est né en 1977 sur la colline Kanyinya, zone Gikuyo, en commune et province de Kirundo, au nord du Burundi. Marié en deuxièmes noces avec Francine MUKARUTEGAMA qu’il a rencontrée en exil au camp des réfugiés de Mahama au Rwanda, Ferdinand NYANDWI est le père de cinq enfants dont deux issus du premier mariage. Les enfants nés de la première épouse sont déjà des adultes (l’ainée est mariée), ceux de la seconde épouse sont encore en bas-âges (7 ans, 2 ans et demi, 9 mois). Au moment de son exécution extra-judiciaire, Ferdinand NYANDWI résidait sur la colline Kanyinya.

Ferdinand NYANDWI a adhéré au Palipehutu alors qu’il était très jeune, il a été un combattant des FNL pendant de longues années. Revenu à la vie civile après sa démobilisation, Ferdinand NYANDWI est resté fidèle au parti FNL d’Agathon RWASA et en a assuré la direction sur la colline Kanyinya. Persécuté par des Imbonerakure, sa vie menacée, Ferdinand NYANDWI a fui au Rwanda en 2014, avant même la crise de 2015. En 2015, il a intégré le camp des réfugiés de Mahama au Rwanda et c’est dans ce camp qu’il a épousé en deuxièmes noces Francine MUKARUTEGAMA qui lui donnera trois enfants.

En Mars 2021, répondant à l’appel des autorités burundaises, Ferdinand NYANDWI est retourné au Burundi avec sa famille. Il est revenu habiter sa colline natale de Kanyinya et a continué à militer dans son parti CNL. Toutefois, constatant que les rapatriés sont surveillés et ne sont pas bien vus des autorités, Ferdinand NYANDWI et son épouse ont adhéré au CNDD-FDD pour se protéger. « Ils nous ont donné des tee-shirts du parti, mais nous ne les avons jamais portés et nous n’avons jamais participé dans les réunions du parti », a déclaré un ami du couple rapatrié avec eux.

Ferdinand NYANDWI a continué son activisme politique d’opposant, notamment au sein du mouvement clandestin de Monsieur B. Selon ce dernier, « KAMBAYINGWE » était l’un de ses hommes les plus actifs. C’est dans ce sens que Ferdinand NYANDWI avait été en contact avec toutes les victimes de disparitions forcées déjà évoquées plus haut dans cette déclaration. Ainsi donc, Ferdinand NYANDWI avait une triple appartenance politique : il devait à la fois apparaître comme un membre du CNDD-FDD, garder le contact le contact avec les militants du CNL et militer clandestinement dans un mouvement politique en gestation.

Pour mieux s’intégrer dans sa communauté, Ferdinand NYANDWI avait participé à la création d’une association rassemblant des rapatriés et d’autres citoyens qui n’avaient pas été en exil. L’association a été dénommée « Coopérative des Jeunes Souffrants pour l’Auto-Développement Socio-Economique », COPJSDSE en sigle. Alors qu’il faisait partie de la direction de l’organisation, un conflit de leadership a surgi dans l’organisation en créant deux blocs : celui de Ferdinand NYANDWI d’une part, celui du président de l’organisation, Jean-Claude NSENGIYUMVA, avec sa vice-présidente, Jacqueline KAMASHARA d’autre part. Dépité par ces divisions, Ferdinand NYANDWI avait fini par claquer la porte de l’association.

D.2. Arrestation et exécution de Ferdinand NYANDWI

Le 26 novembre 2022, Ferdinand NYANDWI est tombé dans un piège bien tendu pour son élimination. Le piège a notamment impliqué son ancienne collègue dans la direction de la COPJSDSE, la vice-présidente Jacqueline KAMASHARA. Dans la matinée du jour fatidique, Jacqueline a demandé à Ferdinand de garder pour elle un sac de charbon qu’elle promettait de récupérer dans la mi-journée. C’est finalement dans la soirée, aux environs de 17 heures, que Madame KAMASHARA a appelé Ferdinand NYANDWI via le téléphone d’un voisin, Célestin MURWANEZA, pour lui demander de lui apporter le sac de charbon à un endroit près de l’université dénommée « Institut Universitaire des Lacs de Kirundo », située dans la ville de Kirundo. Madame KAMASHARA a promis de la bière comme récompense. Ferdinand NYANDWI a emprunté un vélo à un autre voisin, Gervais RWASA, et a demandé à ses deux voisins de l’accompagner jusqu’au lieu de remise du sac de charbon. Il voulait partager sa bière avec ses deux voisins, Célestin et Gervais.

Le 06 décembre 2022, la veuve de Ferdinand NYANDWI a témoigné devant le Premier Ministre Gervais NDIRAKOBUCA en visite à Kirundo :

«En date du 26 novembre 2022, à 8 heures du matin, une femme est venue à ma résidence. Elle a déposé un sac de charbon de bois (amakara) chez nous en disant qu’elle allait revenir le prendre à 13 heures. Elle n’est pas revenue à l’heure convenue. Vers 17 heures, elle a passé par le téléphone d’un voisin pour demander à mon mari, Ferdinand KAMBAYINGWE, de lui apporter le sac. Elle a promis de le remercier avec de la bière. Mon mari a emprunté un vélo chez notre voisin, il a demandé aux propriétaires du téléphone et du vélo de l’accompagner pour pouvoir partager la bière promise. En cours de route, il a reçu plusieurs appels de la dame. Arrivés sur le lieu convenu, ils ont trouvé une camionnette du secrétaire provincial du parti [CNDD-FDD]. La dame se trouvait dans cette camionnette, de même que le responsable provincial des Imbonerakure et le commissaire provincial de la police. Ferdinand ne savaient pas qu’ils sont là. C’était tout près de l’Université, ils lui ont demandé de monter le sac à l’arrière de la camionnette. Au lieu de payer ce service, la dame a demandé à Ferdinand de monter à l’arrière de la camionnette et aux deux autres de rester là.  La camionnette a avancé un peu, non loin des habitations, et c’est alors qu’ils l’ont descendu de la camionnette, l’ont mis à terre et ont commencé à le frapper. Ils l’ont roué de coups un peu partout, ils l’ont piétiné dans le ventre, sur ses parties génitales, sur le cou. Ils ont continué ainsi jusqu’à lui donner la mort. Moi-même j’ai été appelée par des témoins, et j’ai assisté à cette scène horrible. Vous pouvez demander aux habitants de cette localité, il y a eu beaucoup de témoins qui vous diront la même chose que moi. Il y avait beaucoup de policiers prêts à tirer sur toute personne qui voulait s’approcher. Moi-même j’ai été sauvée parce qu’il y avait une grande foule, j’ai couru et je suis passé prendre mes enfants à la maison pour chercher où passer cette nuit-là. Le lendemain, très tôt à 5 heures du matin, je suis revenue sur le lieu du supplice, j’ai demandé aux voisins comment la scène s’était terminée. Ils m’ont dit : quand ils sont partis à 20 heures, ton mari avait cessé de gémir, il était mort ; nous ne savons pas où ils sont allés après. Moi-même je ne savais pas où aller chercher, je ne connais pas cette province, je viens juste de me rapatrier. Je suis alors retournée à la maison. Ce qui est fort étonnant, ce soir-là, ils n’avaient pas appelé le responsable de notre colline ou l’administrateur communal pour annoncer qu’il y avait un problème. Ce n’est que le lendemain matin qu’ils ont appelé l’administrateur communal pour qu’il vienne chercher la famille du défunt. L’administrateur est venu et il m’a demandé :

  • Tu connais Kambayingwe?
  • C’est mon mari.
  • Je viens d’apprendre que ton mari a été attrapé hier soir avec un sac de charbon qui cachait une arme à l’intérieur. Ils l’ont emmené montrer où sont cachées d’autres armes et ils l’ont tué. Maintenant tu peux aller récupérer le corps de ton mari. »

Plusieurs autres témoignages corroborent le récit de la veuve de Ferdinand NYANDWI. Des sources ont confirmé au FOCODE qu’après avoir mis le sac dans la camionnette du responsable provincial du parti CNDD-FDD à Kirundo, Ferdinand est également monté dans la camionnette. Il espérait qu’il allait être payé pour son service. La camionnette a avancé quelques mètres jusqu’au lieu du supplice. Ferdinand a reçu des coups partout sur son corps, des policiers l’ont piétiné avec leurs bottines. Ferdinand a beaucoup crié, ce qui a attiré un attroupement de personnes, mais la police a continué à menacé ceux qui voulaient s’approcher de près. Les sources ont confirmé la présence du responsable provincial des Imbonerakure, Abel AHISHAKIYE, du secrétaire provincial du CNDD-FDD et du commissaire provincial de la police, Jacques NIJIMBERE. Les sources ont évoqué aussi la présence de plusieurs policiers et de certains miliciens Imbonerakure.

Selon les différentes sources du FOCODE à Kirundo, le sac de charbon apporté par Ferdinand NYANDWI a été complètement défait et des morceaux de charbon ont été éparpillés dans la route. Il semblerait que la police était à la recherche d’un fusil qu’elle croyait caché dans le sac et qu’elle n’y a rien trouvé. Cette scène horrible de torture a duré jusqu’à 20 heures. Ferdinand qui n’émettait plus de gémissement a été mis dans la camionnette du secrétaire provincial du CNDD-FDD. Les habitants du coin pensent qu’il était déjà mort. La population a profité de ce départ pour ramasser les morceaux de charbon restés dans la route. Une photo prise trois jours plus tard montrait encore des restes de ces morceaux dans la route.

Le corps sans vie de Ferdinand NYANDWI a été jeté dans une forêt naturelle communément appelée « MWIYANZA » à Murehe en commune de Busoni. Il est difficile de savoir si Ferdinand était déjà mort quand il a été amené dans cette forêt ou s’il a été achevé dans la forêt. L’autre imbroglio de cette histoire est la raison pour laquelle, de façon inédite, les autorités ont décidé d’informer la famille d’une personne qu’elles ont tuée et l’ont aidée à récupérer le corps. D’habitude, les autorités du Burundi ne communiquent pas après ce genre de violations et n’autorisent pas l’enterrement de ceux qu’elles qualifient de « criminels » par leurs propres familles.

La veuve de Ferdinand NYANDWI a témoigné aussi sur les circonstances de l’enterrement de son mari :

« L’administrateur communal nous a prêtés son véhicule et son chauffeur, puis nous sommes partis à la découverte du corps. Aucun des bourreaux n’a daigné nous accompagner. Je suis parti avec mon beau-frère, notre gendre, nos enfants et quelques voisins. Personne ne m’a donné ne fusse qu’une couverture ou un cercueil. Nous avons trouvé son corps étendu, couché sur le dos, les bras croisés, dans forêts dense d’épines où il n’était même pas possible de marcher debout. Il avait une cicatrice sur la joue droite, la cicatrice était encore fraiche mais il n’y avait pas de trace de sang aux alentours.  Nous avons demandé l’autorisation de l’emmener à la morgue pour préparer un enterrement digne. Le chauffeur a appelé son patron, on lui a répondu : ce n’est pas du fumier à emmener ici, enterrez-le là-bas ! Ce n’était pas un enterrement d’un humain, c’est comme si nous l’avons juste jeté dans une fosse là-bas. Nous avons demandé aux habitants du coin si la veille ils avaient entendu le bruit d’un coup de fusil, ils ne l’avaient pas entendu. Ce qui nous a inquiétés davantage, c’est le fait que le lendemain le secrétaire provincial du parti a envoyé un membre de sa sécurité rapprochée pour établir la liste de tous ceux qui avaient participé à cet enterrement. Je me suis dit : allons-nous tous suivre bientôt mon mari, allons-nous disparaitre moi et mes enfants sans connaître la raison de cette extermination ? Permettez-moi formuler juste une demande : je reste seul avec trois enfants ; l’aîné âgé de 7 ans a déjà abandonné l’école ; à 29 ans je ne suis pas à mesure de prendre en charge toutes les besoins de la famille ;  tout ce que je vous demande c’est de faire le suivi de mon cas, c’est de demander à ceux qui l’ont tué pourquoi ils ne l’ont pas présenté devant la justice. S’il avait réellement des armes, il fallait le présenter aux juges, il fallait le sanctionner selon la loi et non l’exécuter d’une manière aussi horrible. Demandez-leur d’où ils tirent le pouvoir de tant d’injustice. »[9]

Face au courage exceptionnel de la veuve de Ferdinand NYANDWI, le Premier Ministre Gervais NDIRAKOBUCA a manqué de réponse. Aucune autre veuve n’avait osé une telle prouesse depuis 2015 : accuser les bourreaux en leur présence, nommer publiquement les auteurs des violations graves et exiger la justice dans des termes clairs. Tout le monde attendait la réponse d’un Premier Ministre lui-même cité dans des crimes très graves depuis plusieurs années. Gervais NDIRAKOBUCA n’a pas évoqué ni enquête ni poursuite judiciaire, il s’est contenté de charger le gouverneur provincial de Kirundo, Albert HATUNGIMANA, du suivi de ce cas.  Il l’a dit tout en sachant qu’un gouverneur de province n’a aucun pouvoir sur le tout puissant responsable des miliciens Imbonerakure de Kirundo, Abel AHISHAKIYE. Ce dernier avait déjà été cité dans de nombreuses violations des droits humains dont la disparition forcée d’Oscar NAHIMANA, vice-président de la Commission Electorale Communale Indépendante de Kirundo, en septembre 2020. Il n’y a jamais eu de suites judiciaires aux différentes dénonciations dont il a fait objet.

Voici, textuellement, la réponse du Premier Gervais NDIRAKOBUCA à la veuve de Ferdinand NYANDWI :

« Urashikira umuvyeyi w’intara akubwire ati : ibintu vyagenze uku n’uku. Nawe ivyo utumva ubimubaze, uti ibi sindavyumva uku. Niko bitegerezwa kugenda, kuko ibibaye ategerezwa kumenya ati ibi vyagenze uku, ibi vyagenze uku. (…) Ibi rero ntihagire uwuzototezwa kubera yoba yaramuherekeje. Ntihagire umuntu atotezwa ngo nuko yagiye ku maziko y’uyu canke uriya, kuko naho vyoba vyaramushikiye akaba yari inkozi y’ikibi, abiwabo bategerezwa kumushingura. »[10]

Traduction : « Tu verras le père de la province[11], c’est lui qui te dira ce qui est réellement arrivé. S’il y a des zones d’ombre, tu lui demanderas des éclaircissements. C’est ainsi que les choses doivent se passer, c’est lui en effet qui doit connaître le détail de tout ce qui se passe ici. (…) J’ordonne qu’il n’y ait plus de menaces sur ceux qui ont participé à l’enterrement. Que personne ne soit dérangé parce qu’il a participé à un enterrement, parce que même s’il serait advenu que le défunt soit un criminel, sa famille devait l’enterrer. »

Deux jours après les propos de Gervais NDIRAKOBUCA, le compte twitter de la Police Nationale du Burundi a laconiquement évoqué la mort de Ferdinand NYANDWI : 

« Les enquêtes continuent (1) pour le cas de Kambayingwe Ferdinand mort à @KirundoProvince en tentative de fuite après arrestation avec 1 fusil AK47 dans son sac de charbon et (2) pour le cas du corps sans vie d’une femme découvert près de #SODECO à Ngagara en @MairieBuja. »[12]

Le tweet promet une enquête tout en justifiant le meurtre de Ferdinand NYANDWI comme une conséquence de la tentative de fuite de la victime. Il parle d’un fusil AK47 caché dans un sac de charbon, mais le fusil n’a été montré ni aux habitants ni aux administratifs de la localité où KAMBAYINGWE a été tué. D’où venait et à qui était destiné ledit fusil puisque le propriétaire du sac de charbon était déjà avec la police ? Qui s’occupe de cette enquête ? Dans quels délais peut-on espérer le résultat de l’enquête ? Le FOCODE appris que le commissaire Jacques NIJIMBERE aurait été convoqué à Bujumbura et qu’il serait parti avec certains voisins du défunt KAMBAYINGWE. Chacune de ces personnes accompagnant le commissaire à Bujumbura aurait « reçu une enveloppe de 100.000 Fbu pour raconter une version différente de ce qui s’est réellement passé le 26.11.2022 » selon une source à Kirundo. Le FOCODE n’a pas pu identifier l’autorité qui aurait convoqué le commissaire Jacques NIJIMBERE et ses témoins et n’est pas en mesure de confirmer les allégations de subornation des témoins.

Après les déclarations de la veuve de Ferdinand NYANDWI devant le Premier Ministre NDIRAKOBUCA, des menaces des Imbonerakure contre la veuve ont repris de plus belle. L’Administration communale a décidé de louer une nouvelle maison pour la famille du défunt pendant trois mois afin de renforcer sa sécurité. Dans la semaine qui a suivi la déclaration, la CNIDH a emmené la veuve à Bujumbura pour une enquête. Au bout de 15 jours, la CNIDH l’a ramenée à Kirundo et l’a remise au gouverneur Albert HATUNGIMANA.

Deux mois et demi après l’exécution extra-judiciaire de Ferdinand NYANDWI alias KAMBAYINGWE, les auteurs sont libres et n’ont jamais été inquiétés. Certains témoins oculaires de son arrestation, comme Célestin MURWANEZA, auraient pris le chemin d’exil à cause des menaces. Les auteurs de l’exécution de KAMBAYINGWE auraient enfin acheté le silence ou de fausses déclarations d’autres témoins. La famille de la victime vit dans la peur et s’interroge sur son avenir.

E. Conclusions

  • Les violations des droits humains évoqués dans ce dossier de la Campagne NDONDEZA s’inscrivent dans la répression de l’opposition politique qui perdure au Burundi depuis 2015. Les sept victimes ont en commun d’être des militants et des sympathisants du parti CNL (la principale formation politique de l’opposition au Burundi) et d’avoir participé clandestinement à la constitution d’un nouveau mouvement politique d’opposition. Trois des victimes étaient des opposants libérés de prison, par la grâce présidentielle, trois mois seulement avant leur disparition forcée tandis qu’un quatrième a été exécuté une année et demie après son retour d’exil. C’est là deux autres catégories particulièrement ciblées par la répression. Le FOCODE a en effet documenté plusieurs cas de disparitions forcées en 2021 parmi les opposants libérés par la grâce présidentielle et parmi les réfugiés rapatriés du Rwanda notamment. Beaucoup de ces cas feront objet des publications ultérieures.  
  • Comme dans le dossier précédent de la Campagne NDONDEZA[13], la présente déclaration a rappelé le rôle prépondérant du renseignement militaire (G2) dans les cas de disparitions forcées des civils en 2021. Selon des sources confidentielles, Éric NTUNZWENIMANA, responsable de la jeunesse du parti CNL en commune Gatara, a été remis au G2 après son arrestation illégale le 25 septembre 2021 au chef-lieu de Kayanza. Selon les mêmes sources, l’opération d’enlèvement de Gaspard HAVYARIMANA, Lévis NZOYISABA, Thierry NDIHOKUBWAYO et Désiré MANIRAGABA le 23 octobre 2021 à Kayanza a été une œuvre du renseignement militaire. Les victimes de ces arrestations et enlèvements n’ont jamais été retrouvées.
  •  Un nom d’un sous-officier du renseignement militaire cité dans le précédent dossier est également revenu dans la présente déclaration.  Il s’agit de l’Adjudant-Major Onesphore NDAYISHIMIYE ainsi décrit dans le précédent rapport de la Campagne NDONDEZA[14] : « Numéro Matricule SC0699, l’Adjudant-Major Onesphore NDAYISHIMIYE, connu sous le sobriquet BRADDOCK ou MUMFANKURU est un sous-officier de l’armée burundaise, officiellement affecté au Bataillon Police Militaire. Né en 1979 à Gasheke en commune Murwi (province Cibitoke), ancien combattant des FDD, Onesphore NDAYISHIMIYE a été incorporé dans l’armée le 1er janvier 2005. Agent du renseignement militaire, l’Adjudant-Major NDAYISHIMIYE est un homme de terrain ayant participé à plusieurs opérations secrètes selon des collègues qui se sont confiés au FOCODE. En 2021, Onesphore NDAYISHIMIYE aurait pris part à la majorité des enlèvements des citoyens opérés par le renseignement militaire. C’est un acteur clé des disparitions forcées de 2021 selon les sources du FOCODE. Pour le moment, il est en Somalie dans le 66ème Bataillon ATMIS. »
  • Il importe de rappeler ici que le renseignement militaire était dirigé en 2021 par le Colonel Ernest MUSABA, secondé du Lieutenant-Colonel Libère NIYONKURU présenté par plusieurs sources comme le véritable coordinateur des opérations d’enlèvements et de disparitions forcées. Aucun responsable et aucun agent du G2 n’a fait objet de poursuite judiciaire à la suite de ces violations de 2021. Au contraire, Ernest MUSABA et Libère NIYONKURU ont connu des promotions importantes en 2023, le premier a été nommé responsable du très convoité Service de la Logistique à l’Etat-Major Général de l’armée (G4), le second a été envoyé à Nairobi dans une mission également convoitée de l’East African Community. Ce sont des signes qui ne trompent pas sur l’absence de la volonté de lutter contre l’impunité des crimes graves au Burundi.
  • Ce dossier de la Campagne NDONDEZA souligne encore une fois la collaboration étroite entre le renseignement militaire et la direction du parti CNDD-FDD dans les violations commises en 2021. Ce changement notoire a été observé avec l’arrivée de Révérien NDIKURIYO à la tête du parti. Par ailleurs, le parti se serait doté de son propre service de renseignement qui serait coordonné par le député Lazare MVUYEKURE. Le chauffeur de Lazare MVUYEKURE, Daniel BIGIRIMANA, a été cité dans le processus qui a conduit à l’arrestation d’Éric NTUNZWENIMANA le 25 septembre 2021 à Kayanza. Le secrétaire provincial du CNDD-FDD à Kayanza, Ferdinand HABIMANA, a joué un rôle de premier plan dans l’arrestation d’Éric NTUNZWENIMANA. Alors que Ferdinand HABIMANA n’aucune responsabilité dans la police burundaise, il est cité comme celui à qui la victime a été remise après son arrestation par des policiers. Le parti aurait enfin joué un rôle important dans le recrutement et le détournement de certains informateurs du SNR vers le renseignement militaire, comme ceux utilisés dans la disparition forcée d’Éric NTUNZWENIMANA. Cela aurait d’ailleurs été un des sujets de dispute entre le SNR et le G2 en 2021.
  • Comme le précédent dossier[15], la présente déclaration souligne la méfiance ayant existé entre le renseignement militaire et le Service national de renseignement en 2021. Les opérations d’enlèvements des citoyens ont été organisées par le G2 à l’insu du SNR. Dans les provinces, les responsables du SNR n’ont pas été associés à ces opérations alors que, dans les années précédentes, ce dernier était le corps le plus impliqué dans les cas de disparitions forcées des opposants politiques. Là où le G2 avait besoin d’un coup de main, il a préféré faire recours aux responsables et aux locaux du parti CNDD-FDD. Des informateurs du G2 ont confirmé au FOCODE qu’ils avaient la consigne de ne pas informer le SNR de ces opérations. Ces pratiques ont d’autant plus énervé le SNR que dans l’opinion publique les disparitions forcées ont continué à être attribuées au SNR. C’est ainsi qu’à la fin d’octobre 2021, le Directeur du renseignement intérieur au SNR, à l’époque Colonel de police Alfred Innocent MUSEREMU, est allé jusqu’à arrêter le Lieutenant-Colonel Libère NIYONKURU, à l’époque numéro deux du G2. Cette arrestation, couplée avec les nombreuses dénonciations du FOCODE, a tout au moins conduit à une diminution significative des opérations d’enlèvements des civils par le G2.
  • L’exécution extra-judiciaire de Ferdinand NYANDWI alias KAMBAYINGWE en novembre 2022 au chef-lieu de Kirundo, une année après la disparition forcée de ses collègues, démontre que les dossiers partagés par le renseignement militaire et le renseignement du parti en 2021 n’ont pas été abandonnés. Encore une fois le parti CNDD-FDD, à travers son secrétaire provincial et le responsable provincial des Imbonerakure à Kirundo, a été en première ligne dans cette violation grave. Là aussi, il y a lieu de s’interroger pourquoi c’est le parti qui a opéré et non le SNR. C’est surtout l’occasion de constater que la même impunité ayant caractérisé les crimes du G2 en 2021 est restée de mise dans cette exécution extra-judiciaire de 2022, même après les déclarations courageuses de la veuve de Ferdinand NYANDWI devant le Premier Ministre.
  • Les réponses du Premier Ministre Gervais NDIRAKOBUCA à la veuve de Ferdinand NYANDWI ont confirmé que le gouvernement n’a aucune volonté de sanctionner et de juger les auteurs des violations graves des droits humains au Burundi. Aucune référence à la justice n’a été faite dans la réponse du Général NDIRAKOBUCA. Il a même reconnu indirectement la responsabilité de l’Etat dans ce meurtre en indiquant que le Gouverneur provincial de Kirundo allait fournir toute la lumière à la veuve du défunt.
  • Les crimes dénoncés dans la présente déclaration rappellent un constat amer : l’arrivée du Président Evariste NDAYISHIMIYE au pouvoir n’a pas véritablement changé la situation des droits de l’homme au Burundi. Les corps de l’Etat peuvent toujours s’adonner à des violations graves des droits humains, EN TOUTE IMPUNITE.

F. Prise de position du FOCODE et recommandations.

  1. Le FOCODE condamne :  
    • la disparition forcée du Pasteur Dominique NDUWIMANA, opposant politique et employé de la Régie Nationale des Postes, arrêté par le Service National de Renseignement le 23 septembre 2021 au chef-lieu de la province Karusi,
    • la disparition forcée d’Éric NTUNZWENIMANA, responsable de la jeunesse du parti CNL en commune Gatara, arrêté par des policiers le 25 septembre 2021 au chef-lieu de la province Kayanza et remis au secrétaire provincial du parti CNDD-FDD,
    • la disparition forcée des opposants politiques Gaspard HAVYARIMANA, Lévis NZOYISABA, Thierry NDIHOKUBWAYO et Désiré MANIRAGABA enlevés par le renseignement militaire le 23 octobre 2021 au chef-lieu de la province Kayanza,
    • l’exécution extra-judiciaire de l’opposant politique Ferdinand NYANDWI alias KAMBAYINGWE, tué le 26 novembre 2022 au chef-lieu de la province Kirundo, quelques heures seulement après son arrestation par une équipe comprenant le secrétaire provincial du parti CNDD-FDD, le responsable provincial de la milice Imbonerakure et le Commissaire provinciale de la Police Nationale du Burundi ;
  2. Le FOCODE condamne le silence des autorités burundaises sur ces disparitions forcées et cette exécution extra-judiciaire, y compris le silence de la CNIDH, et l’inaction de la justice burundaise observée dans ces cas tout comme dans la quasi-totalité des cas de disparitions forcées ou d’autres violations graves commises contre des opposants ou des personnes supposées comme tels ;
  3. Le FOCODE condamne la non-poursuite en justice des auteurs de l’exécution extra-judiciaire de Ferdinand NYANDWI alias KAMBAYINGWA, même après les déclarations courageuses de sa veuve devant le Premier Ministre Gervais NDIRAKOBUCA le 06 décembre 2022 à Kirundo ;
  4. Le FOCODE demande une enquête indépendante sur la disparition forcée de Messieurs Dominique NDUWIMANA, Éric NTUNZWENIMANA, Gaspard HAVYARIMANA, Lévis NDAYISABA, Thierry NDIHOKUBWAYO et Désiré MANIRAGABA ainsi que sur l’exécution extra-judiciaire de Ferdinand NYANDWI alias KAMBAYINGWE ;
  5. Le FOCODE demande une enquête globale sur les nombreux cas de disparitions forcées des personnes arrêtées ou enlevées par le renseignement militaire burundais en 2021 ;
  6. Le FOCODE demande une enquête indépendante sur la collaboration entre la direction du parti CNDD-FDD et le renseignement militaire dans les disparitions forcées de 2021 ;
  7. Le FOCODE réitère son appel au Chef de la FDNB, le Général Prime NIYONGABO, à sortir de son silence pour communiquer au peuple burundais en général et aux nombreuses familles des victimes en particulier le sort réservé aux dizaines de personnes arrêtées ou enlevées par le renseignement militaire en 2021 ;
  8. Le FOCODE réitère sa demande au Président Evariste NDAYISHIMIYE de traduire en réalité sa promesse de mettre fin à l’impunité des agents de l’Etat impliqués dans des violations graves des droits humains et, notamment, de lancer sans délai une enquête sérieuse sur la disparition forcée des 80 victimes dont la liste lui a été transmise par le FOCODE le 30 août 2022 ;
  9.  Le FOCODE demande aux partenaires du Burundi, notamment aux Etats-Unis d’Amérique et à l’Union Européenne engagés dans un processus de normalisation de leurs relations avec le Burundi, de continuer à exiger la lumière sur les crimes graves, en l’occurrence les cas de disparitions forcées, et des engagements forts sur la traduction en justice des agents de l’Etat impliqués dans ces crimes ;
  10. Le FOCODE salue l’annonce de la Cour Pénale Internationale et son engagement à lancer des mandats d’arrêts contre les auteurs des crimes graves depuis 2015 dont des cas de disparitions forcées au Burundi.         

N.B. : Le FOCODE avise ceux qui voudront utiliser d’une manière ou d’une autre les données de cette enquête qu’une partie d’informations a été gardée confidentielle afin de tenter de protéger les sources ou de préserver l’intégrité des différentes preuves qui pourront être utiles aux instances judiciaires ou autres qui pourront traiter le dossier. Ces informations pourront être livrées, sur requête, à tout organe d’enquête jugé indépendant ou toute autre source jugée appropriée à recevoir de telles informations.


[1] CNDD-FDD : Conseil National pour la Défense de la Démocratie – Forces de Défense de la Démocratie, ancien mouvement rebelle, partie au pouvoir au Burundi depuis 2005.

[2] Melchior NDADAYE, premier président Hutu du Burundi, premier président élu démocratiquement au Burundi, a été assassiné par des militaires majoritairement Tutsi le 21 octobre 1993, trois mois seulement après son accession au pouvoir. Son assassinat a été suivi par des massacres ciblant particulièrement les Tutsis et les Hutus de l’àpposition. La province de Karusi a été des plus touchées par ces violences.

[3] En effet, quand ce témoignage a été donné au FOCODE, une émission NDONDEZA sur la radio en ligne Umurisho avait déjà évoqué la disparition forcée de Gaspard HAVYARIMANA.

[4] FNL : Forces Nationales de Libération, branche armée de l’ancien mouvement rebelle PALIPEHUTU (Parti pour la libération du peuple Hutu) qui a signé un accord de cessez-le-feu en décembre 2008. Depuis 2019, la faction principale du mouvement dirigée par Agathon Rwasa a été agréée comme un nouveau parti politique sous la dénomination « Congrès National pour la Liberté, CNL en sigle ». 

[5] Gaspard HAVYARIMANA sera enlevé à son tour un mois après Éric NTUNZWENIMANA

[6] G2 c’est le bureau du renseignement militaire à l’Etat-Major Général de l’Armée.

[7] BRARUDI c’est la principale brasserie du Burundi

[8] RPA : Un membre du parti CNL porté disparu à Gatara, https://www.rpa.bi/index.php/actualites/3droits-de-l-homme/un-membre-du-parti-cnl-porte-disparu-a-gatara

[9] Ceci est une traduction libre des propos de la veuve de Ferdinand NYANDWI. L’audio peut être trouvée sur  https://www.youtube.com/watch?app=desktop&v=mXdxKtI3fOs

[10] https://youtu.be/UPcq59s09bQ

[11] Père de la province : le gouverneur de la province. C’est un abus de langage qui se développe et qui fait passer les autorités pour des pères des entités administratives dont elles ont la charge tandis que les citoyens deviennent leurs enfants.

[12] https://twitter.com/MininterInfosBi/status/1600804413647785985

[13] Le précédent dossier avait porté sur la disparition forcée du sexagénaire Alexis NIMUBONA, de ses deux fils Éric NDUWAMUNGU et Gabriel NSABIYUMVA, de son employé Firmin NTIRANDEKURA, ainsi que de l’opposant Jean-Claude NIYOMUKUNZI enlevés par le renseignement militaire, dans la nuit du 11 au 12 octobre 2021, en commune Rumonge. https://ndondeza.org/disparus-midodo/

[14] Idem.

[15] Idem.


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