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Déclaration du FOCODE à l’occasion de la journée internationale des victimes de disparitions forcées

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Déclaration du FOCODE à l’occasion de la Journée Internationale des Victimes de Disparitions Forcées.

30 Août 2017

Burundi : face à la banalisation et à l’impunité généralisée du crime de disparition forcée, le FOCODE appelle la Cour Pénale Internationale à ouvrir son enquête avant le 27 octobre 2017.  

« La pratique généralisée ou systématique de la disparition forcée constitue un crime contre l’humanité, tel qu’il est défini dans le droit international applicable, et entraîne les conséquences prévues par ce droit. »Article 5 Convention Internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées.

Le 28 avril 2016, le FOCODE a lancé la «Campagne NDONDEZA contre les disparitions forcées au Burundi ».  Depuis lors, le FOCODE a reçu des informations sur un peu plus de 150 cas de disparitions forcées liées à la crise née de la volonté de Monsieur Pierre NKURUNZIZA de s’octroyer un troisième mandat présidentiel en violation de l’Accord d’Arusha pour la Paix et la Réconciliation au Burundi et de la Constitution de la République du Burundi. Le FOCODE a déjà documenté 40 cas de disparitions forcées qui sont régulièrement postés sur son site www.ndondeza.org et partagés via des adresses emails aux autorités burundaises et aux différents partenaires du Burundi.

Au cours de ses enquêtes, le FOCODE a fait un certain nombre de constats :

  1. La détresse des familles des victimes.

Les familles des victimes de disparitions forcées vivent dans la peur et ne savent plus à quel saint se vouer. Elles apprennent généralement via des réseaux sociaux ou assistent à l’arrestation des leurs par des services de sécurité du Burundi. Après l’arrestation, elles perdent toute trace des leurs qui deviennent introuvables dans les cachots officiels. Quelque temps après la disparition forcée, elles reçoivent dans certains cas des demandes de rançons des personnes qui se présentent comme des agents du renseignement burundais. Nombre de familles ont perdu les leurs et le peu de moyens financiers dont elles disposaient à cause de ce système de rançonnage. A la fin, les familles des victimes vivent sous des menaces des agents du renseignement qui leur interdisent de dire quoi que ce soit sur la disparition forcée des leurs sous peine d’être tués. Ainsi, beaucoup de familles ne savent plus si les leurs existent encore ou s’ils ont été exécutés. « NDONDEZA » est un mot du Kirundi qui signifie : «  aide-moi à trouver le mien », c’est en quelque sorte la traduction de cette détresse des familles qui sont en quête de la vérité sur la situation des leurs et qui ne savent plus à qui s’adresser.

  1. L’existence de nombreux cachots secrets.

Tous les cas de disparitions forcées commencent par une détention des victimes dans des lieux ou des cachots secrets. Selon les enquêtes du FOCODE, des cachots secrets ont été installés au siège du Service National de Renseignement (SNR), dans les toilettes du SNR, dans les bureaux et dépôts des armes du SNR, dans les résidences de certains responsables provinciaux du SNR, à la permanence nationale du parti CNDD-FDD,  dans les palais et résidences du Président Nkurunziza, dans les résidences de certaines autorités du pays, dans des bars de certaines hautes personnalités, dans des maisons privées éparpillées dans différents quartiers de Bujumbura et localités du pays, et sur plusieurs positions militaires disséminées à travers le pays. Ces cachots secrets sont des zones de non-droit où des agents des services secrets burundais ou des miliciens Imbonerakure peuvent torturer, violer des femmes ou tuer à leur guise. Ces cachots secrets sont coordonnés par un service du département du renseignement intérieur au sein des services secrets burundais. Le FOCODE a pu s’entretenir avec un certain nombre d’anciens détenus de ces cachots secrets.

  1. Les catégories les plus ciblées par le phénomène des disparitions forcées.

Selon les différentes enquêtes déjà menées par le FOCODE, trois catégories de citoyens sont plus ciblées dans les disparitions forcées :

  1. Les jeunes ayant manifesté contre le troisième mandat du président Pierre Nkurunziza ou bien résidant dans les quartiers et localités réputés comme étant les plus contestataires du troisième mandat de Pierre Nkurunziza ;
  2. Les militaires et les policiers, en activité ou démobilisés, ayant appartenu à l’ancienne armée burundaise à majorité tutsi. Toutefois, des militaires et policiers hutu considérés comme opposants au troisième mandat de Pierre Nkurunziza sont également ciblés, dans des proportions moins élevées ;
  3. Depuis peu, des hommes d’affaires Tutsi sont également ciblés.

Des ressortissants rwandais comptent aussi parmi les groupes ciblés, de même que des militants des partis de l’opposition, principalement le MSD d’Alexis SINDUHIJE et le FNL d’Agathon Rwasa. Il importe aussi de signaler la disparition forcée de Madame Marie-Claudette Kwizera, Trésorière de la Ligue des Droits de l’Homme ITEKA en décembre 2015, et du journaliste Jean Bigirimana du Groupe de presse IWACU depuis juillet 2016.

Dans certains cas, des miliciens Imbonerakure utilisés dans la commission de crimes graves, notamment les disparitions forcées ou les exécutions extrajudiciaires des personnes considérées comme opposants au régime, ont été également victimes de disparitions forcées. Cela s’expliquerait notamment par la volonté d’éliminer des témoins qui pourraient être gênants devant des juridictions nationales ou internationales le cas échéant.

Le FOCODE voudrait aussi attirer l’attention sur la particularité des cas de disparitions forcées liées à des missions de paix de l’ONU ou de l’Union Africaine. Le FOCODE a publié un rapport sur un cas de personnes et de militaires disparus à l’Etat-Major Général de l’Armée Burundaise alors qu’ils y étaient pour payer des commissions des militaires voulant se rendre rapidement ou retourner dans la mission de paix en Somalie (AMISOM)[1]. De même, un homme d’affaires et ancien parlementaire burundais, Monsieur Oscar Ntasano, a disparu le 20 avril 2017 après avoir refusé pendant quatre mois de rompre un contrat de location de son hôtel Nonara Beach Hôtel par le bureau des Nations-Unies à Bujumbura. Malheureusement, les Nations-Unies  restent muettes face à ces situations extrêmement révoltantes.

  1. Les corps les plus impliqués dans le kidnapping des gens avant leur disparition forcée

Les cas déjà documentés par le FOCODE montrent une implication particulière des corps ci-après dans les enlèvements et les disparitions forcées :

  1. La garde présidentielle dans ses deux composantes Armée (BSPI) et Police (API). Le FOCODE a découvert l’existence d’un service de renseignement privé dépendant du palais présidentiel et les éléments de ce service sont parmi les plus actifs dans les disparitions des gens. De manière très étonnante, le FOCODE a constaté des pouvoirs exorbitants et inexplicables accordés à deux policiers de rang inférieur : le Brigadier Jonas Ndabirinde et l’APC Claude Nijimbere (APC est l’équivalent de caporal-chef de l’armée). Ces deux personnes ont des moyens de transport importants (camionnettes pick-up, voiture, motos), disposent d’une garde rapprochée parfois de loin plus importante que celle des commandants de camps, ont des moyens financiers leur permettant de louer des villas dans des quartiers chics de Bujumbura et sont dotés des pouvoirs d’arrestations des gens dans tous les coins du pays. En réalité, la force de ces personnes, c’est leur proximité immédiate avec le Président Nkurunziza ;
  2. Le service national de renseignement (SNR) qui dépend directement du Président Nkurunziza. En son sein, le SNR a organisé un service du renseignement intérieur qui coordonne tous les cachots secrets et les bureaux provinciaux du SNR. Ces structures sont des voies privilégiées de la disparition forcée. C’est un service complètement mono-ethnique, ce qui est une violation grave de l’Accord d’Arusha pour la Paix et la Réconciliation au Burundi du 28 août 2000 ;
  3. La Police Nationale du Burundi: le Bureau du renseignement au sein de la Police a été cité dans des cas de disparitions forcées et, parfois dans des menaces proférées aux futures victimes, avant leur disparition. La Brigade anti-émeute est régulièrement citée dans des arrestations arbitraires ou dans des enlèvements qui ont précédé des disparitions forcées. Le même rôle a été joué par les Groupements mobiles d’intervention rapide (GMIR). Le ministre de la sécurité publique quant à lui disposerait dans la cave de sa résidence à Gasekebuye des cachots secrets où auraient transité certaines victimes de disparitions forcées[2] ;
  4. L’armée burundaise, dans certaines de ses entités, est également citée dans des cas de disparitions forcées. Le Bureau du renseignement à l’Etat-major général est souvent cité dans les enlèvements des militaires ex-FAB (militaires majoritairement Tutsi provenant de l’ancienne armée burundaise) et disposerait de véhicules destinés à cette tâche. Ces enlèvements donnent souvent lieu à des disparitions forcées. Certains officiers de l’armée ont été également chargés de coordonner la répression des opposants dans des zones de la ville de Bujumbura. Les quartiers sud pour le Commandant du camp Muha, les quartiers nord pour le commandant du Bataillon du génie de combat du camp Muzinda et les quartiers au centre pour la garde présidentielle ;
  5. Le parti CNDD-FDD à travers sa milice Imbonerakure : l’enquête du FOCODE a révélé l’existence de cachots secrets dans les caves de la Permanence Nationale du parti CNDD-FDD et dans certaines permanences provinciales du parti. Des miliciens Imbonerakure sont chargés de la garde et de la torture des détenus. Parfois ces détenus deviennent introuvables. D’anciens détenus ont confirmé au FOCODE que des codétenus avaient été tués après avoir séjourné dans ces cachots.

 

  1. La vulnérabilité financière des familles des victimes de disparitions forcées.

Quand il s’agit des chefs de ménages, la plupart des hommes victimes de disparitions forcées sont dans la trentaine et au début de la quarantaine. Ils laissent de très jeunes enfants que les veuves ont du mal à élever seules dans un contexte de pauvreté extrême. Les familles des victimes éprouvent également d’énormes difficultés à obtenir des papiers de voyage, surtout pour les enfants dont l’exigence d’une autorisation parentale (du père surtout) devient impossible à satisfaire.

  1. Le silence total des autorités burundaises

Les autorités burundaises ne donnent aucune suite aux demandes des défenseurs de droits humains sur les cas de disparitions forcées. Les auteurs des enlèvements sont généralement connus mais ils ne sont jamais poursuivis en justice. Le comportement du gouvernement du Burundi est une preuve que les disparitions forcées sont dans beaucoup de cas de véritables crimes d’Etat.

La justice burundaise est dans l’impossibilité de juger ces cas. Par ailleurs il importe de souligner ici qu’aucune juridiction burundaise ne peut juger le Président Nkurunziza ainsi que quatre autres hautes personnalités de l’Etat. Pierre Nkurunziza a refusé la mise en place de la Haute Cour de Justice pourtant prévue par la Constitution et la seule compétente pour le juger. Alors que son entourage semble très impliqué dans les disparitions forcées et qu’il serait impossible que Pierre Nkurunziza n’en soit pas au courant, il n’existe aucune possibilité au Burundi de le traduire en justice même sur des crimes extrêmement graves.

PRISE DE POSITION ET RECOMMANDATIONS

  1. Le FOCODE condamne la poursuite des détentions secrètes qui constituent des préludes à la disparition forcée, le silence des autorités burundaises sur les cas de disparitions forcées et l’impunité généralisée des auteurs de ces crimes ignobles ;
  2. Le FOCODE recommande l’expression d’une condamnation ferme du phénomène de disparition forcée au Burundi par la Communauté Internationale, notamment par les différents organes des Nations-Unies dont le Groupe de Travail sur les Disparitions Forcées ou Involontaires ;
  3. Le FOCODE espère une attention particulière sur le phénomène des disparitions forcées dans le prochain rapport final de la Commission d’Enquête sur le Burundi mise en place par le Conseil des Droits de l’Homme ;
  4. Le FOCODE recommande l’extension du mandat de la Commission d’Enquête sur le Burundi au-delà de la date du 30 septembre 2017 étant donné qu’après son travail il n’y aura pas un autre corps qui reprendra le travail d’enquête sur les violations graves de droits humains qui se poursuivent dans le cadre de la répression en cours au Burundi depuis avril 2015 ;
  5. Le FOCODE recommande la suspension du Burundi du Conseil des Droits de l’Homme ;
  6. Le FOCODE demande à la Cour Pénale Internationale de lancer sans délais son enquête sur les crimes sous sa compétence en cours au Burundi depuis avril 2015 et de lancer les poursuites contre leurs auteurs quelle que soit leur position dans les institutions de l’Etat ;
  7. Le FOCODE demande à la CPI d’ignorer les demandes de lier l’ouverture de l’enquête sur les crimes internationaux en cours au Burundi et le processus du dialogue inter-burundais ;
  8. Le FOCODE demande aux Nations-Unies et à l’Union Africaine de mettre en place un système de vetting strict empêchant la participation dans les missions de paix de tout militaire burundais sur qui pèsent des soupçons de crimes de sang, de torture, de viols ou de disparitions forcées ;
  9. Le FOCODE demande au Conseil de Sécurité des Nations-Unies de mettre en œuvre sa résolution 2303 et de mettre en place une force internationale de protection des citoyens burundais ;
  10. Le FOCODE demande au Conseil de Sécurité des Nations-Unies, à l’Union Africaine et à tous les partenaires du Burundi de prendre de nouvelles sanctions contre les autorités burundaises, dont un embargo sur les armes et la limitation des voyages pour les personnalités impliquées dans les graves violations de droits de l’homme dont des disparitions forcées ainsi que dans le discours de haine ;
  11. Le FOCODE alerte la Communauté Internationale sur le risque d’aggravation de cette situation si le président Nkurunziza obtient la révision de la Constitution pour s’autoriser un quatrième mandat.

 Pour le FOCODE,

 Sé Pacifique NININAHAZWE

Président.-

  

Visitez #NDONDEZA sur : www.ndondeza.org

Faites un don à #NDONDEZA via : http://ndondeza.org/index.php/don/

[1] Disparition forcée de MM Alexis Ngabonziza, Ferdinand havyarimana et du Caporal-chef Ernest Ndayizeye http://ndondeza.org/disparition-forcee-de-mm-alexis-ngabonziza-ferdinand-havyarimana-et-du-caporal-chef-jean-ndayizeye/

[2] La disparition forcée de messieurs Clovis Ntukamazina et Emmanuel Kamana http://ndondeza.org/la-disparition-forcee-de-messieurs-clovis-ntukamazina-et-emmanuel-kamana/


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